Les douze coups de midi ont sonné la fin d’un an et demi de tractations autour de la future Politique agricole commune (PAC). Enfin presque. Ce mercredi, la Commission européenne, les Etats membres et le Parlement européen sont tombés quasi d’accord sur le visage de l’agriculture à 28 (les 27 + la Croatie qui intègre l’Union européenne le 1er juillet) pour les six ans à venir.
Un visage aminci, avec un budget a priori diminué de 12% par rapport au précédent exercice 2007-2013, mais doté tout de même de 373 milliards d’euros sur sept ans, soit 38% du budget global de l’UE. Toutefois, le budget 2014-2020 de l’UE n’ayant pas encore été voté, l’accord trouvé ce mercredi ne repose sur aucune base financière tangible. Et il ne sera voté qu’en septembre prochain. Voici malgré tout la nouvelle PAC, à gros traits.
Revenir au b.a.-ba : c’est quoi un agriculteur ?
Evidemment, pour savoir à qui appliquer les mesures de la PAC, et notamment à qui attribuer les aides, il faut déjà savoir ce qu’est un « agriculteur actif ». Pour cela, il est convenu que les Etats membres devront établir une définition négative de ce que n’est pas un agriculteur. Et – ça va mieux en la rappelant – un agriculteur n’est pas, par exemple, un aéroport, un camping, un golf, un club sportif ou de chasse, une station de ski. Même si les uns et les autres sont susceptibles d’être propriétaires de terres agricoles, ils ne devraient pas bénéficier d’aides s’ils ne les exploitent pas à des fins d’agriculture.
Des aides mieux ciblées
Seuls les agriculteurs actifs devraient donc pouvoir bénéficier d’aides directes de l’Europe, qui représentent parfois jusqu’à 80% de leurs revenus (aides dites du premier pilier). Mais, dans le système actuel d’aide à l’hectare, 20% des exploitants captent 80% des subventions. Les grosses exploitations qui pratiquent l’agriculture intensive – notamment céréalière – sont favorisées au détriment des plus petites – souvent des éleveurs. En France, le revenu (aides comprises) d’un éleveur bovin s’élève à 17 000 euros par an quand un céréalier émarge à 80 000 euros.
La nouvelle PAC a pour ambition d’être plus équitable. L’accord prévoit que, d’ici à 2019, les agriculteurs aidés recevront au minimum 60% du montant moyen touché à l’hectare par l’ensemble des agriculteurs. Toutefois, la baisse de subvention pour les grosses exploitations ne pourra pas excéder 30%. Au final, « moins de 10% des paiements directs seront redistribués sur les sept prochaines années. La réduction moyenne se situera entre 11% et 12% pour les agriculteurs perdants, et le gain moyen sera de 35% pour les agriculteurs gagnants », a assuré le ministre irlandais de l’Agriculture, Simon Coveney, dont le pays est à la tête de l’UE jusqu’à la fin du mois de juin.
Bruxelles et le Parlement voulaient limiter à 300 000 euros par an le montant des aides perçues par chaque ferme, et réduire de façon dégressive les paiements supérieurs à 150 000 euros. Mais les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE ont décidé que le plafonnement serait laissé à la discrétion des autorités nationales. Donc il n’y en aura probablement pas.
Un coup de pouce pour les éleveurs
La Commission européenne voulait uniformiser le montant des aides à l’hectare versées dans chaque Etat membre, quelle que soit la production agricole. Mais la France a défendu un autre modèle, qui l’a finalement emporté : celui du maintien des aides conditionnées à la spécificité de la production, en particulier l’élevage. Au final, les Etats pourront consacrer de 8% à 13% des aides directes à certaines productions en difficulté et les agriculteurs bénéficieront d’une surprime pour les 50 premiers hectares, manière détournée de soutenir là encore les éleveurs et l’emploi. Puisque, comme l’a rappelé Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, dans un communiqué publié mercredi, « l’emploi se trouve davantage dans les exploitations de taille petite et moyenne que dans les grandes exploitations. C’est pourquoi la majoration des aides directes sur les premiers hectares de toutes les exploitations assurera une redistribution vers les exploitations “riches en emploi” ».
Un verdissement bien pâle
Le commissaire européen à l’Agriculture, Dacian Ciolos, voulait conditionner 30% des subventions directes à la bonne gestion des ressources agricoles : diversification des cultures, maintien des pâturages, mise en jachère de 5% (7% après 2017) des terres pour préserver haies et biodiversité. Mais ces mesures ont été largement édulcorées par les Etats, comme le regrette José Bové, eurodéputé EELV et vice-président de la Commission de l’agriculture du Parlement européen : « Les mesures de verdissement ont pratiquement disparu. Elles sont laissées à l’appréciation des Etats membres qui les rendront les moins contraignantes possible. La rotation obligatoire des cultures, [...] n’a jamais été sérieusement prise en considération. Elle était pourtant […] la mesure centrale pour commencer à sortir du modèle agro-industriel », déplore-t-il dans un communiqué.
La Confédération paysanne, dont il a été l’un des fondateurs, le suit, à travers un autre communiqué : « Deux ans de négociations, deux ans de mobilisations, pour arriver à une Politique agricole qui n’a plus grand-chose de commune. C’est donc au niveau national que tout va se jouer, sur la base des mesures facultatives qui ont été décidées. » De même, Christophe Hillairet, président de la Chambre d’agriculture interdépartementale d’Ile-de-France, regrettait sur Twitter que « cela ne donne pas une vision de la #PAC, c’est du bricolage entre Etats !!! »
De son côté, la FNSEA (Fédaration nationale des syndicats d’exploitants agricoles) se félicite « d’un verdissement proportionnel pragmatique et ouvert sur ses modalités de mise en œuvre ». Quant à Dacian Ciolos, il n’a eu d’autre option que de pratiquer la méthode Coué et et de déclarer : « Nous avons réussi à prendre en compte la diversité de l’agriculture UE grâce aux flexibilités et options offertes. » Une agriculture à la carte, c’est encore une agriculture commune ?
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions