Son objectif ? « Tracer une ligne verte » entre 30 « écotopies », ces « lieux de résistances et d’innovations qui se fédèrent et se structurent autour d’une préoccupation écologique ». A mesure de son voyage aux Etats-Unis, Damien Delorme postera des articles sur son blog, base de réflexion pour trois classes de sa région, l’une de CM1 (de l’école du bourg à Montbonnot-Saint-Martin, en Isère), l’autre de seconde (du lycée Charles-Poncet de Cluses, en Haute-Savoie), la troisième de terminale (du lycée Monge, à Chambéry, en Savoie). Une exposition itinérante – en partie financée par une campagne de crowdfunding – devrait clore l’aventure en rassemblant articles du maître et travaux des élèves. Mais avant cela, Terra eco s’est promis de suivre l’expédition en publiant régulièrement sur notre site Internet des articles tirés du blog. Pour démarrer notre partenariat et à quelques jours du départ, nous avons interrogé Damien Delorme sur les motivations de son voyage.
Terra eco : Qui êtes-vous ?
Damien Delorme : Je suis né en Savoie. J’ai toujours fait beaucoup de sport en montagne. Notamment des compétitions de VTT, du ski de fond, du ski alpinisme. J’ai développé un goût de l’effort dans la nature, du sport d’endurance. J’ai découvert le voyage à vélo assez tôt, vers 18 ans. Je suis, par exemple, parti de Chambéry pour aller vers la Slovénie, Munich… J’ai entrevu l’idée qu’il y avait quelque chose de valable du point de vue existentiel dans le voyage à vélo. Depuis mes 18 ans, je mûris le désir de faire un grand voyage mais les occasions manquaient jusqu’à présent. Il y a eu les études d’abord. Notamment des études de musique qui n’étaient pas favorables au fait de partir longtemps (Damien Delorme a étudié la trompette aux conservatoires de Chambéry puis de Paris. Il emportera d’ailleurs une petite trompette avec lui, ndlr). Puis j’ai passé le concours de l’agrégation de philosophie. Quand j’ai eu mon poste en lycée (à Thonon-les-Bains puis à Cluses, en Haute-Savoie, ndlr), j’ai demandé une disponibilité pour pouvoir réaliser ce projet et l’associer à un travail de thèse. Ça fait dix ans que j’ai ce projet de voyage. Deux ou trois ans que je réfléchis à faire une thèse sur la philosophie de l’environnement. C’est cette année que ça se concrétise.
Vous avez toujours voyagé seul ?
Les premiers voyages à vélo, je les ai faits avec un compagnon qui est aujourd’hui décédé. Depuis, je voyage plutôt seul. Il y a du charme au retour à soi, au fait d’être attentif à son propre rythme. Même si, en voyage, on n’est jamais tout à fait seul.
Pourquoi les Etats-Unis ?
Les Etats-Unis étaient à un croisement intéressant. C’est un pays dont je parle la langue, qui est suffisamment ouvert politiquement pour que des alternatives puissent émerger et qui est pionnier en matière de philosophie de l’environnement, avec des figures marquantes. Mon intérêt s’est accru quand j’ai découvert des initiatives écologiques que je ne soupçonnais pas. Des initiatives non seulement inédites mais très radicales dans la réponse qu’elles apportent à la crise écologique.
C’est ce que vous appelez les « écotopies » (1)… Vous en avez listé trente que vous allez découvrir au fil du chemin. Comment les définissez-vous ?
Ce sont des lieux où émergent les alternatives écologiques. Elles ont comme point commun de mettre au centre de leur organisation le constat de crise écologique et la nécessité d’y réagir en reconfigurant les liens de l’homme avec la nature. C’est cette relation qui est en crise. Et ces modèles d’écotopies posent une question politique : comment les nouvelles normes formées par ces communautés qui réinventent leur rapport à la nature s’insèrent-elles dans d’autres normes déjà existantes ? Comment crée-t-on une société autour de ça ? Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment ces initiatives locales peuvent intégrer un modèle global. C’est un problème qui se pose de plus en plus. Comment rendre un modèle généralisable, pour que de minoritaire il devienne majoritaire.
Comment avez-vous choisi ces écotopies ?
J’avais déjà l’idée d’une trajectoire sud-ouest nord-est. Pour trouver des initiatives intéressantes, j’ai visité des sites qui les recensent. Parce qu’entre les initiatives locales il existe déjà des liens. L’idée, c’était, à travers mon voyage, de les matérialiser. De joindre toutes ces initiatives très intéressantes, bien organisées, originales. Evidemment qu’à vélo je n’irai pas voir les survivalistes au fin fond de la forêt, du wilderness, comme ils disent. Mais, en revanche, même des communautés isolées, « off the grid », on peut souvent y avoir accès par des chemins ou des voies carrossables. Je vais, par exemple, aller voir des communautés de la côte Ouest qui ont une expertise conséquente sur les questions de nouvelle démocratie, de gestion des conflits. Ou encore des initiatives en milieu urbain qui portent, par exemple, sur la reconstruction de La Nouvelle-Orléans à travers des jardins urbains après l’ouragan Katrina. C’est intéressant parce qu’il me semble encore plus compliqué de recréer une sensibilité à la nature en milieu urbain. Je vais aussi aller voir des projets d’écoconstruction, comme ces géonefs au Nouveau-Mexique, des habitats écoresponsables aux formes organiques. Je vais enfin aller voir des fermes bios au Texas. Là, ce qui m’intéresse, c’est la radicalité de ces mouvements dans un environnement peu propice à leur émergence.
Et il y a aussi un aspect pédagogique à votre aventure…
Non seulement les élèves vont suivre le voyage avec tout ce que ça peut comporter d’exotisme, de découverte d’autres pays, mais aussi ils vont se saisir de ce que je vais fournir comme articles pour réfléchir sur différentes questions. Les CM1 vont par exemple travailler sur la question de l’éthique environnementale puis mener une activité plus concrète autour de l’écoconception. Les seconde vont travailler sur le développement durable dans le programme de géographie. Les terminale vont travailler sur la question de la justice climatique : comment la crise écologique repose la question morale et politique de façon nouvelle ? Et ils se baseront là-dessus pour préparer une rencontre entre différentes classes de philosophie du bassin chambérien sur le thème du réchauffement climatique, au début du mois de mai.
(1) « Le concept a été forgé en 1974 par Ernest Callenbach, dans son roman Ecotopia, en contractant “ecology” et “topos” (“lieu” en grec). Il a ensuite été repris par certains sociologues et anthropologues pour désigner notamment des communautés intentionnelles écologistes. Mais les philosophes ne se sont pas encore saisis du concept ; et ils ont tort ! », précise Damien Delorme sur son site.
Le blog de Damien Delorme
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