Mise à jour du 22 février 2016 : Cette fois, c’est fini. Ou presque. Seules deux des huit lignes de nuit de France seront préservées à compter du 1er juillet prochain. Les autres sont ouvertes à la concurrence, a annoncé le secrétaire d’Etat aux Transports, Alain Vidalies. Seules les lignes Paris-Briançon et Paris-Rodez-Latour-de-Carol feront l’objet de nouveaux investissements. |
Il était déjà bien difficile de ne pas passer pour un fieffé rétrograde quand on refuse des vacances en Europe au goût de kérosène. Heureusement, il restait un argument implacable : « C’est vrai, tu as trouvé un vol jusqu’à Madrid pour 30 euros et en à peine 2 heures ? Moi en prenant un train-couchette de nuit j’arriverai tôt et en pleine forme, je pourrai bien profiter de ma première journée. Et même si je paye trois fois plus cher que toi, j’évite de payer une nuit sur place. » Mais cette époque touche à sa fin. Si vous voulez éviter l’avion, attendez-vous à galérer et débourser beaucoup. En décembre dernier, Elipsos [1] a décidé de supprimer son offre entre la France et l’Espagne. Puis celle entre la Suisse, l’Espagne et l’Italie. Au début du mois d’octobre, l’International Railway Journal annonçait que la Deutsche Bahn supprimait elle aussi ses trains nocturnes entre la France et l’Allemagne et ceux entre la Suisse, l’Allemagne et le Danemark. Pour ces destinations, comme pour de nombreuses autres, ne restent que la voiture ou les trains à grande vitesse et aux multiples correspondances. Ou, bien sûr, l’avion et son énorme bilan carbone.
Pour expliquer ces suppressions, la Deutsche Bahn avance que « l’activité n’était plus rentable ». Côté SNCF, le service de presse nous indique, sans pouvoir nous fournir de chiffres : « Nous proposons maintenant des Paris-Barcelone en TGV (qui roulent le jour, ndlr) qui sont beaucoup plus rapides. Nous avons tout simplement amélioré notre offre. D’ailleurs notre offre TGV a un gros succès alors que la demande sur les trains de nuit diminuait ces dernières années. »
La chère galère du train de jour
Sauf que, même en prenant ce train rapide et même en m’y prenant un mois à l’avance, le trajet Paris-Madrid dure en journée entre 10h et 16h pour un coût d’au moins 200 euros. Auparavant, le trajet coûtait trois fois moins cher et était certes long (15 heures) mais, nuance de taille, il se faisait sur le dos et les yeux fermés. Qu’importe d’aller moins vite si l’on dort, et que l’on arrive plus reposé ?
Capture d’écran de facture pour un aller-retour Paris-Madrid réalisé en mars 2013
Capture d’écran d’une simulation de trajets Paris-Madrid en novembre 2014
Faut-il donc me résigner à voir ces trains disparaître ? Beaucoup d’observateurs s’y refusent. D’abord, parce que les adeptes du train de nuit sont nombreux, comme le confirme Mark Smith, globetrotteur ferroviaire et auteur du blog de référence L’homme du siège 61 : « Ces trains étaient très très appréciés. » « Si ces lignes n’étaient plus rentables c’est parce qu’elles étaient exploitées de manière très coûteuses ! Ces trains sont utiles à tout un tas de gens, depuis le businessman en déplacement qui veut payer cher une couchette individuelle avec douche à l’étudiant qui voudra un siège basculable à bas prix. Il faut s’y adapter », dénonce de son côté Jean Sivardière, qui préside la Fédération nationale des associations d’usagers de transports (Fnaut).
Travaux tombés à pic
Mais alors que les trains de nuit rentrent en gare, une entreprise a fait le pari inverse. Thello [2] tente depuis 2011 de relancer des lignes nocturnes entre la France et l’Italie. Et, selon son directeur général Albert Alday, ça marche. « Le Paris-Milan-Venise (exploité jusqu’en 2010 par Artesia [3], ndlr) accueillait 200 000 passagers par an avant notre arrivée. Dès 2012, nous sommes passés à 300 000. En 2014 nous allons atteindre au moins les 340 000 passagers », se félicite-t-il. Alors pourquoi les opérateurs historiques se détournent-ils de ces voies ?
« Le matériel roulant est assez vieux, il faudrait investir beaucoup pour relancer ces trains alors que leur rentabilité n’est pas évidente. La SNCF, qui en plus ne veut pas concurrencer son offre de TGV, organise donc la fin progressive de ces trains », diagnostique l’économiste des transports Yves Crozet. Mark Smith nuance : « Beaucoup de wagons-lits sont assez récents, ceux utilisés par la Deutsche Bahn ont même été construits en 2007 par Siemens, et les wagons-couchettes sont d’âges divers et en bon état général. »
Albert Alday – dont la compagnie utilise le matériel roulant de ses prédécesseurs – opine et avance une autre explication : « Le train de nuit est un créneau compliqué, qui implique beaucoup de personnels et de métiers différents, il y a aussi des problèmes d’interopérabilité quand on passe d’un pays à l’autre. Tout ça fait que quand on est un grand opérateur, on se dit qu’on n’a pas envie de s’ennuyer avec ça. Ce qui se dit dans la profession c’est que, quand ces dernières années le rythme des travaux sur le réseau ferré a augmenté on a choisi de faire les travaux plutôt pendant la nuit et plutôt sur les lignes de nuit qu’on ne voulait plus exploiter. Ça a contribué à déstabiliser certaines lignes, d’autant plus qu’il y a un manque de coopération entre les pays sur l’anticipation et la gestion de ces travaux. »
Et quand il n’y aura plus de pétrole ?
De même, certaines solutions, comme faire rouler de jour le matériel de nuit pour le rentabiliser, n’ont pas été poursuivies. Malgré un échec sur le Paris-Rome « où la concurrence des vols low cost est trop forte » et quelques controverses sur la qualité du service sur ces lignes – « quand on n’a pas de visibilité il est difficile d’investir mais je soutiens qu’on n’a fait mieux que nos prédécesseurs » – Albert Alday « mourrait d’envie » de « lancer d’autres lignes de nuit ».
Ce qui n’empêche pas l’économiste Yves Crozet – qui rappelle que la ligne de nuit relancée par Thello entre Paris-Venise est bien particulière, romantisme oblige – de prédire que ces trains vont devenir un produit de niche ou de luxe. « Ils appartiennent au passé, comme les bateaux qui traversaient l’Atlantique. » A moins que la raréfaction des énergies fossiles ne rende l’avion de moins en moins accessible et/ou qu’une taxe sur le carburant ou les émissions de CO2 ne change l’aiguillage du transport européen ? « Pour moi, la dernière goutte de pétrole sera utilisée pour faire décoller un avion », rétorque Yves Crozet. Terminus, tout le monde descend.
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