32 euros la tonne : la théorie Rocard
L’ancien premier Ministre ne l’a pas sortie d’un chapeau. Non. Ce chiffre, Michel Rocard l’a pêché dans un rapport de la Commission de la valeur tutélaire du carbone. Un nom barbare pour désigner un groupe d’économistes et d’ONG chargés, sous la tutelle d’Alain Quinet, de livrer un outil pour mesurer le coût environnemental des projets publics. "[Une taxe à 32 euros] devrait donner un signal viable tout en permettant au système de s’adapter dans le temps", souligne ainsi le rapport Quinet qui préconise une augmentation de la taxe de 5% par an jusqu’à parvenir à 100 euros en 2030. Objectif ? Atteindre le fameux facteur 4, soit la réduction de 75% des émissions en 2050. "En gros, nous sommes partis de l’objectif de 100 euros en monnaie constante [hors inflation] et nous sommes remontés dans le temps, explique Patrick Criqui, directeur du laboratoire d’économie de la production et de l’intégration internationale (Lepii) qui a participé à la commission Quinet. D’autres experts défendaient l’idée d’une taxe à 45 euros avec une progression de 4%. Mais nous avons préféré ne pas commencer trop fort pour une meilleure acceptabilité." "32 euros c’est correct, confie l’eurodéputé Pascal Canfin. C’était grosso modo la valeur des permis d’émission [sur le marché d’échange européen] en 2008. Cela fait sens économiquement et politiquement."
Au delà de 32 euros :
"Il faudrait un prix plus proche de 50 euros dès le départ, souligne Jacques Le Cacheux, directeur du département des Études à l’OFCE (Centre de recherches en économie de Sciences Po). Ce n’est pas en augmentant le prix de l’essence de 6 à 7 centimes que les gens vont arrêter de prendre leur voiture. Aujourd’hui, le prix du litre augmente souvent plus que ça et ça ne change rien." Pour appuyer leur hypothèse, les partisans du "plus cher, plus vite" prennent l’exemple de la taxe suédoise instaurée en 1991. "La Suède taxe le carbone à hauteur de 100 euros et ça n’a pas détruit la société et l’économie pour autant", souligne Pascal Canfin. Mieux. Depuis l’introduction de la taxe, l’économie du pays a crû de 48% tandis que ses émissions ont baissé de 9% soulignait en juillet Mattias Johansson, porte-parole du ministère de l’environnement cité dans les colonnes du Monde.En dessous de 32 euros :
C’est la route que prend peu à peu le gouvernement. En usant d’un argument aussi simple qu’évident : 15 euros, c’est le prix de la tonne de Co2 sur le marché européen de quotas d’échange aujourd’hui. Autant donc s’y tenir. "C’est un argument purement politique, estime Pascal Canfin. Si le taux sur le marché est à 15 euros aujourd’hui c’est à cause de la crise. [Il y a plus de vendeurs que d’acheteurs de quotas]. Si le débat avait eu lieu l’an dernier, ils auraient dû se baser sur un taux de 35, 40 euros ! On ne peut pas fixer le cout d’une taxe qui est pérenne sur le prix d’un marché qui est variable. Beaucoup l’assurent : il ne faut pas passer le seuil – fatidique - des 32 euros au risque d’échouer à changer les comportements. Mais le gouvernement avance un autre argument : avec la crise économique actuelle, les Français ne seraient pas prêts à supporter une taxe trop élevée. Mercredi dernier, sur RMC, Christine Lagarde, ministre de l’Économie et de l’Emploi, s’est dite favorable à un tarif d’environ 15 euros par tonne de Co2 émise. "Cela me paraît un bon chiffre. Ça donne aujourd’hui, sur ces bases-là, une augmentation de 3 centimes le litre d’essence [1]", a-t-elle ajoutéProgresser rapidement, redistribuer intelligemment
Qu’importe le prix de départ, pourvu que celui-ci progresse rapidement, tempère le WFF. "C’est vrai que ce n’est pas un bon signe que le gouvernement veuille baisser le niveau de départ de la taxe. Mais l’important c’est qu’il conserve son objectif d’atteindre 100 euros en 2030. Il faudra juste augmenter la taxe plus vite, souligne Damien Demailly, chargé du programme Energie–Climat pour l’ONG. C’est cette progressivité qui est importante. Parce que les gens ne vont pas changer leur attitude du jour au lendemain, acheter une nouvelle voiture ou isoler leur maison." Pas question en effet que le bénéfice de la taxe vienne éponger le déficit de l’État. La solution ? Un chèque vert comme le préconise Nicolas Hulot. Oui, à condition que quelques contraintes existent. "Si on vous donne de l’argent, il ne faut pas que vous l’utilisiez pour acheter un billet d’avion supplémentaire. Il faut introduire un principe de chèque ou de carte verte qui est destiné à la consommation de biens et de services compatibles avec le Facteur 4 de Copenhague : produits éco-responsables, chaudière performante ou encore services de proximité.... "Ça risque de tout compliqué, estime au contraire Patrick Criqui. Qui va faire la liste des produits ? Quels seront les produits éligibles ? Je ne suis pas favorable à ça. Il y a déjà beaucoup de procédés d’incitation (fiscale, tarif de rachat de l’énergie renouvelable) qui sont déjà assez complexes. Il vaut mieux s’en tenir à un chèque vert classique. Aux ménages d’en faire ce qu’ils veulent."
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