En contrebas du Mont Hermon, dans le Nord d’Israël, les branches des derniers pommiers caressent une frontière de barbelés de trois mètres de hauteur. Au-delà de cette limite d’acier qui serpente la vallée, c’est la Syrie et ses montagnes sèches, ocres, non cultivées. Le plateau du Golan est un territoire syrien occupé et administré par Israël depuis la guerre des Six Jours en 1967 et dont l’annexion en 1981 n’a jamais été reconnue par la communauté internationale. Suite à l’occupation, une centaine de villages syriens ont été détruits par l’Etat hébreu, à l’exception de quatre villes. Pas de check-points israéliens pour rentrer sur le plateau, les 20 000 habitants cohabitent en paix avec les villages juifs aux alentours. Pourtant, malgré ce calme apparent, ce lieu agricole et touristique est devenu l’une des frontières les plus sensibles de la région. Les échos de la guerre en Syrie résonnent dans la montagne et le conflit, amorcé il y a cinq ans, a aujourd’hui de graves conséquences, notamment chez les agriculteurs.
Avant que la guerre n’éclate, Israël autorisait ces Syriens de confession druze à exporter les 30 000 tonnes de pommes produites chaque année sur le Golan chez leur voisin syrien : c’était l’un des rares échanges possibles de part et d’autre de la limite de démarcation. Mais avec les combats qui s’intensifient à quelques kilomètres, depuis septembre 2014, pour la première fois, les fruits ne passent plus la frontière. « C’est une catastrophe économique, s’inquiète Wassim Safadi, jeune agriculteur de la ville de Majdal Shams. Cette année, la moitié de ma production est stockée dans des chambres froides et une infime partie a été vendue à très bas prix ici. » A ces pertes financières s’ajoute le problème du coût de l’eau en Israël. « Nous payons l’eau de nos propres lacs trois fois plus chère que les colons israéliens ! », dénonce son cousin, Asad Safadi, directeur de l’une des quatre chambres froides du Golan. Il tente donc, avec les négociants agricoles, d’acquérir de nouveaux marchés dans les pays du Golfe et en Jordanie. « Ça semble mal parti, constate-t-il. Car beaucoup de pays arabes boycottent les produits israéliens. On se sent très seul, on n’appartient à rien ! » Pris en étau entre le conflit syrien et l’occupation, certains pensent acquérir la nationalité israélienne. Sans passeport officiel – ni syrien, ni israélien – depuis 1967, ces druzes isolés possèdent seulement un « laissez-passer » sur lequel est inscrit, à côté de la case « nationalité », le mot « indéfini ». Sur le Golan, ils seraient moins de 5 % à avoir demandé la nationalité israélienne à leur majorité, risquant d’être exclus socialement.
« Protégés par notre ennemi »
Mais aujourd’hui, Jad Mari, 38 ans, n’a plus peur de confier son point de vue à haute voix dans un bar très fréquenté de Majdal Shams. « La nouvelle génération ne rêve plus de la Syrie, estime cet ancien disquaire, dans un anglais impeccable. En Israël, avec ou sans nationalité, on ressentira toujours les discriminations, mais je veux que mes enfants aient une vie meilleure. J’envisage de prendre la nationalité pour eux. » Autour de lui, aucun drapeau israélien ne flotte sur les balcons, la télévision de propagande syrienne résonne dans de nombreuses maisons et des portraits de Bachar Al-Assad trônent dans certains salons. « Depuis cinq ans, le village n’est plus uni, il y a aussi les pro et anti-Assad. Et puis nos pommes ne passent plus en Syrie… c’est la fin de l’espoir du retour chez nous », souffle l’agriculteur Wassim Safadi, résigné. « Notre statut légal est d’être Syrien, je crois que le changement viendra », relativise de son côté Salman Fakherldeen, 61 ans. Cette figure de l’activisme politique syrien a passé une dizaine d’années dans les geôles israéliennes.
Dans son champ de pommes, entre deux détonations de roquette, il scrute le chaos de l’autre côté. « Nous sommes protégés par notre ennemi, c’est la pire des situations, non ? », ironise-t-il. Cigarillo entre les dents, il observe la nouvelle récolte : « Si on ne cultive plus nos champs, au bout de sept ans, l’Etat peut nous les prendre. Mais cette terre, léguée de génération en génération, on ne l’abandonnera jamais. C’est notre seul espace de liberté, notre dernier espace de résistance. Elles sont là, nos racines syriennes. » —
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