« Il y a quelques temps, je parlais avec les femmes d’un village de Casamance, à l’ombre d’un anacardier, l’arbre à noix de cajou, raconte Nicolas Métro, le patron de Kinomé, une entreprise française spécialisée dans les projets de reforestation. Je leur ai fait remarquer qu’on pouvait discuter toute la journée sous cet abri sans souffrir de la chaleur. » Depuis deux ans, Nicolas Métro est engagé, via Kinomé, dans le projet Trees and Life : replanter 20 millions d’arbres en Haute-Casamance, la région la plus pauvre du Sénégal.
Ces arbres doivent protéger et développer les cultures, préserver les champs du bétail errant et rafraîchir le climat local en favorisant la transpiration des sols et des arbres, grâce à l’eau récupérée et stockée pendant la saison des pluies. Le succès de ce projet repose d’abord sur les communautés locales, avec l’appui de l’ONG Mozdahir Développement, originaire de la région, et du Projet de gestion intégrée des écosystèmes du Sénégal. Ce dernier est financé par le gouvernement sénégalais, le Fonds pour l’environnement mondial et le Programme des Nations unies pour le développement.
De piquants acacias
« Comme la forêt n’appartient à personne, tout le monde l’utilise sans se soucier de ses voisins », explique Nicolas Métro. Braconnage, production déraisonnée de charbon de bois et feux incontrôlés ont des effets dévastateurs. Pour surveiller les cultures menacées par le bétail qui divague à la saison sèche, les arbres des villages ont été rasés. Afin de renverser la vapeur, plus de 5 000 hectares de cette région de Casamance ont d’ores et déjà été transférés aux populations. « Si l’on donne l’usufruit aux communautés locales et qu’on les appuie par du microcrédit, cela produit des miracles, avance Nicolas Métro. Et bien qu’endommagées et amputées, ces forêts sont vigoureuses, et les écosystèmes peuvent redémarrer très vite. »
L’été dernier, 300 000 arbres ont été plantés suivant un schéma à base de cercles concentriques tracés autour des cases. Un million d’arbres devront l’être au cours de l’été 2010. « Dans le premier cercle, nous aidons à planter des arbres d’ornement et à vocation médicinale, ainsi que des plantes à fruits précieux », détaille Nicolas Métro. Viennent ensuite des cultures de subsistance qui seront protégées par des haies vives pour éloigner les animaux : de piquants acacias qui fixent l’azote de l’air dans le sol et fournissent un abri aux jeunes citronniers et aux jatrophas, des arbustes dont les fruits contiennent une huile précieuse. « Elle servira pour l’éclairage et l’alimentation du moulin à mil et des motopompes », précise Nicolas Métro. Le troisième cercle abritera les arbres fruitiers. Un dernier recevra les cultures commerciales (mil, sorgho, maïs, etc.) dont les surplus éventuels apporteront un revenu aux agriculteurs. Pour les cultiver, des semences et du matériel de maraîchage ont été mis gratuitement à disposition des femmes qui cultivent leur lopin de terre dans la journée et s’occupent de désherber et arroser les plants le soir.
Petits barrages de cailloux
L’eau est bien évidemment le nerf de cette guerre contre la sécheresse et les pluies dispersées. « Il est essentiel de retenir les eaux de pluies, insiste Nicolas Métro. Par exemple en construisant de petits barrages de cailloux et de sable qui forment de petits lacs. L’eau persiste en surface pendant sept ou huit mois, au lieu de trois si l’on ne fait rien. Résultat : les nappes remontent et l’eau des puits sera disponible toute l’année. » Cet étalement dans la durée du flot temporaire des pluies saisonnières pourrait aussi – les acteurs du projet l’espèrent – contribuer à tempérer les ardeurs du climat local. Car en s’évaporant, l’eau des sols rafraîchit l’air.
Un partenariat est désormais engagé avec l’université de Dakar et le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, l’un des grands labos de recherche français sur le climat. « Nous allons essayer d’installer des stations météo, dont les données pourront être transmises par téléphone mobile à la météorologie sénégalaise, expose Nicolas Métro. En échange, les populations seront averties de l’avancée de la mousson, et pourront semer au moment le plus favorable pour limiter l’aléa météo. » Les chercheurs étudieront aussi le climat local et son évolution pour déterminer si l’effet rafraîchissant attendu se produit bien. ONG, laboratoires de recherche et entreprise à vocation sociale : un judicieux cocktail qui ambitionne avant tout de changer le quotidien de plus de 130 000 personnes. Avec des arbres, de la formation, de l’huile de coude et un zeste de science. Ce n’est pas rien. —
« L’EVAPOTRANSPIRATION » SOUFFLE DU FRAIS SUR LA PLANETE
Le projet Trees and Life s’inscrit dans un cadre plus large, le Global Cooling Project. Porté par l’Ecossais Andy Ray Taylor, ce programme ambitionne d’adoucir le climat local, régional et global, en régulant l’usage de l’eau dans les régions semi-arides. L’idée consiste à capter les eaux saisonnières, comme celles de la mousson, pour réhumidifier les sols tout au long de l’année et aider à la reforestation. La respiration des sols et des arbres, baptisée « évapotranspiration », pourrait susciter la formation de nuages convectifs, ayant tendance à renvoyer le rayonnement solaire vers l’espace. Cela rafraîchira l’ambiance locale, mais aussi régionale et globale. « Nous n’avons pas d’assurance à ces échelles-là, reconnaît Nicolas Métro, le patron de Kinomé. C’est bien pour cela qu’il faut étudier les conséquences des projets de reforestation. Soit ça ne sert à rien sur le plan climatique global, mais on aura aidé des populations à se développer et à s’adapter aux effets du dérèglement climatique. Soit cela produit un effet planétaire, et nous aurons tout gagné. »Serge Planton, du Groupe de recherches climatiques à Météo France, s’avoue cependant quelque peu sceptique sur un impact global du projet. « A plus grande échelle, tout reste à prouver. La déforestation de grande ampleur que nous connaissons dans les forêts humides n’a fait baisser les précipitations que de 20 % dans les régions concernées. » Le scientifique souligne que les mécanismes climatiques régionaux sont encore mal compris, à plus forte raison dans les régions sujettes à la mousson comme le Sénégal.
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