Quelle réforme ? Pour bénéficier de la mesure d’Obama et ne plus être menacés d’expulsion, les immigrés devront avoir vécu plus de cinq ans aux Etats-Unis, avoir un enfant américain ou titulaire d’un statut de résident permanent et ne pas avoir de passé judiciaire. Ils pourront alors demander un permis de travail de trois ans. Parallèlement, les conditions d’accès au programme Daca (« Deferred Action for Childhood Arrival ») qui offre des permis de séjour aux mineurs arrivés sur le territoire américain avant l’âge de 16 ans et qui suivent une éducation, seront assouplies. |
« Mes chers compatriotes, nous sommes et serons toujours une nation d’immigrés. » C’était le 20 novembre dernier. Ce jour-là, le président américain, Barack Obama, costume sombre et index pointé vers l’avant, s’adressait à la nation, soulageant au passage quelques âmes anxieuses : il allait transitoirement lever la menace d’expulsion pour 4 à 5 millions d’immigrés illégaux (voir encadré). Depuis, le camp d’en face ne décolère pas. Un tel cadeau coûtera fort cher au pays : « L’amnistie accordée par le président Barack Obama à 4 millions d’immigrés illégaux coûtera 2 000 milliards de dollars (1 600 milliards d’euros) aux Américains (…) ces cinquante prochaines années », écrivait, le 23 novembre dernier, le très conservateur Daily Caller. Si l’article est récent, l’information ne l’est pas. Elle est tirée d’une étude de 2013 de la Heritage Foundation, un think tank conservateur.
« Ils ont utilisé une méthode bancale. Cette étude a été complètement démolie par les experts », rappelle Philip Wolgin, analyste pour le Center for American progress, un autre think tank, proche, lui, de la Maison-Blanche. En face, on ne dit pas autre chose. Selon le libertarien CATO Institute, ce travail « sous-estime largement les bénéfices économiques de l’immigration et diminue les recettes fiscales escomptées ». Même son de cloche chez les néolibéraux de l’American Enterprise Institute ou de l’American Action Forum.
Des coûts pour le pays ?
L’étude balayée vaillamment, reste à creuser la vérité. A l’aune des expériences passées, peut-on mesurer les coûts et les bénéfices d’une décriminalisation des migrants ? Pour le camp d’Obama, aux Etats-Unis, la balance penche clairement vers l’optimisme. En septembre dernier, le CAP a énuméré les effets positifs d’une régularisation transitoire (voir PDF) comme autant de piécettes glissées dans la tirelire américaine : « Aujourd’hui, sur tous les bénéficiaires potentiels de la mesure, seuls 38% des gens paient des impôts. S’ils sont régularisés, c’est 100% qui en paieront », assure Philip Wolgin, du CAP. Résultat : des revenus fiscaux gonflés, dès la première année, de 3 milliards de dollars (2,4 milliards d’euros). Et la balance n’a pas fini de pencher. Car régularisation rime souvent avec augmentation des salaires. La preuve ? En 1986, l’amnistie accordée par le président Ronald Reagan à 3 millions de sans-papiers aurait entraîné une augmentation des revenus de 15,1% après cinq ans, selon une étude du ministère du Travail américain. Et cette fois-ci ? Selon le rapport du CAP, les revenus pourraient augmenter plus modestement de 8,5%, temporalité de la mesure oblige.
« C’est la mobilité professionnelle qui a surtout un effet sur les revenus, décrypte Jonathan Chaloff, de la division « migrations internationales » à l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Lorsqu’ils sont régularisés, les migrants ont la possibilité de quitter leur travail pour des emplois formels et mieux rémunérés, alors que les personnes en situation irrégulière sont contraints de rester dans un marché du travail segmenté. » Pointer le nez vers d’autres horizons le prouve. En Italie, en 2009, 400 000 employés – domestiques et gardes-malades – ont été régularisés et, dans le sillage de la mesure, ils furent deux tiers à claquer la porte de leur job pour en ouvrir une autre, rapporte une étude de l’OCDE « Les personnes régularisées ont notamment trouvé des emplois dans le le secteur des services et de la restauration », résume Jonathan Chaloff.
Et le chômage alors ?
A ce joli rythme, les recettes fiscales, et donc l’économie américaine, pourraient s’en trouver grandies. Le rapport de la -Blanche (en PDF) promet une croissance de 0,4% du PIB américain et une baisse du déficit budgétaire de 25 milliards de dollars (20 milliards d’euros) dix ans après l’application de cette mesure. « C’est peu, mais efficace », souligne Philip Wolgin, fort heureux de pouvoir clouer le bec des conservateurs qui crient au naufrage économique.
Qu’importe, ceux-là ont dans leur besace d’autres épouvantails : la menace du chômage notamment, censément plus élevé lorsque l’immigration est forte. Un argument mis au placard par le Centre de politique de l’immigration, qui ne relève aucune augmentation du chômage dans les zones où se tassent davantage d’immigrés. « Dans un hôtel, on trouve, par exemple, deux types de travailleurs : les gens qui changent les draps et ceux qui sont à l’accueil et remplissent les fiches de renseignement. Ces deux emplois ne demandent pas les mêmes compétences. Pour remplir une fiche, il faut savoir parler anglais, ce qui n’est pas ouvert à tout le monde, assure Philip Wolgin. Cette régularisation n’affectera pas les travailleurs américains. Elle aura même un effet très légèrement positif sur leur salaire. » Et l’expert de citer le rapport de la Maison-Blanche qui évoque un gain de 170 dollars (135 euros) par employé américain de naissance à l’horizon 2024. « Le chômage est dû à de multiples autres causes (délocalisations, progrès technologiques, défaillances du système éducatif, etc), abonde par e-mail Hiroshi Motomura, professeur à la faculté de droit de l’université de Californie, à Los Angeles, et auteur de Immigration Outside The Law (OUP USA, 2014). Une économie plus robuste – due à l’intégration de migrants illégaux dans l’économie américaine – risque, au contraire, de créer des emplois pour de nombreux Américains. »
L’expérience conte, une fois encore, la même histoire. Une célèbre étude américaine (voir ici publiée en 1990 a, par exemple, pointé le peu d’impact de la vague d’immigration forcée de Cubains, en 1980, (dite « Exode de Mariel ») sur les emplois et les salaires des travailleurs peu qualifiés déjà installés à Miami. En France, la régularisation est plutôt continue et liée à la réunification familiale. Paris n’a procédé à des régularisations systématiques que deux fois : en 1981, sous François Mitterrand et en 1997, après l’arrivée de Lionel Jospin à Matignon. Mais pour ces deux épisodes, les données manquent. Seule une étude portant sur les conséquences de l’afflux des rapatriés d’Algérie en France en 1962 a montré une légère augmentation du chômage pour les non-rapatriés (+ 0,2%) et une petite baisse des salaires de 1,3%. Une différence qui s’expliquerait par la « rigidité du marché du travail européen, caractérisé notamment par une protection de l’emploi plus marquée et un taux de remplacement plus élevés », souligne ce travail.
Et les allocs ?
Quid du nouveau poids porté sur les services sociaux ? S’ils entrent officiellement dans le système, les immigrés ne vont-ils pas bénéficier d’un éventail fort avantageux de programmes gouvernementaux qu’ils ne se priveront pas de solliciter ? « Ces millions de personnes ne sont pas éligibles à la majorité de ces droits. Ils n’ont ni le droit à l’Obamacare, ni à l’aide sociale, ni aux crédits d’impôt. Ils peuvent avoir droit au programme de sécurité sociale (assurance vieillesse, chômage, handicapés, ndlr) s’ils restent longtemps mais, dans ce cas, ils auront cotisé comme tout le monde. Ce n’est pas vrai de dire qu’ils risquent d’être un fardeau pour l’économie », soutient Philip Wolgin. « Dire cela, ça suppose que ces gens sont des assistés sociaux. Mais ce sont des gens qui ont trois ou quatre jobs ! », rappelle Virginie Guiraudon, spécialiste de l’immigration et directrice de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique).
Un léger effet sur le PIB, peu d’impact sur le chômage et les salaires des autochtones, la mesure d’Obama serait donc avant tout indolore pour l’Amérique. Mais franchement bénéfique pour les premiers concernés, souligne Virginie Guiraudon : « L’effet le plus important, c’est que ça va laisser respirer les communautés immigrées, donner une opportunité de travail à ces personnes que le réseau de cousins, d’oncles… peinait à soutenir, qui sont souvent exploitées et qui rechignent à sortir de chez eux par peur des contrôles de police. »
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