Ce film a pour titre « l’épopée de l’énergie » et est accompagné d’un vrai faux making of. Le but ? Nous convaincre que le nucléaire est une énergie renouvelable comme une autre et correspond au sens de l’histoire. Pour notre chroniqueur Arnaud Gossement, avocat et Maître de conférences à Sciences Po, cette publicité emprunte aux ressorts classiques de la propagande : ré écriture de l’histoire et création d’un nouvel imaginaire du nucléaire.
Ré-écrire l’Histoire
Le spot publicitaire d’Areva raconte une histoire, celle de l’énergie au moyen de tableaux successifs. Mais une histoire écrite ou plutôt ré-écrite par Areva pour convaincre de la modernité du nucléaire en 60 secondes. Ce qui est bien court pour un raisonnement, fort long pour une publicité. Dans son célèbre roman « 1984 », Georges Orwell avait très bien décrit comment un régime politique à vocation hégémonique a intérêt à ré-écrire l’histoire pour asseoir sa vérité et son autorité sur les citoyens. La réécriture de l’histoire est l’un des ressorts primordiaux de toute propagande.Cette technique est d’autant plus précieuse aujourd’hui que le marketing et la communication ont fortement recours au « storytelling » si bien décrit par Christian Salmon. Le « storytelling » consiste à vendre, une marque ou un homme politique, non pas en vantant ses qualités intrinsèques mais en racontant son histoire. Le récit est une arme puissante pour séduire. Areva a donc décidé de raconter une histoire réécrite, celle de son énergie : la réécriture de l’histoire et le storytelling sont les deux fondements du film qui devrait être bientôt diffusé sur les chaînes de télévision. Sauf que cette histoire est fausse, totalement fausse. Elle n’est pas simplement d’une pauvreté intellectuelle navrante, elle procède surtout d’une malhonnêteté intellectuelle évidente.
Leçon n°1 : pour Areva, l’histoire de l’énergie pourrait être découpée en tranches à la manière d’un saucisson. Au temps de l’Antiquité, on utilise l’énergie éolienne, au temps du Moyen âge, on utilise l’énergie hydraulique, au temps de la révolution industrielle, on utilise le charbon, puis, à l’époque moderne : des « énergies avec moins de CO² ». En réalité, l’Histoire est légèrement plus complexe et ne peut sans doute pas être présentée de manière aussi simpliste au moyen de la présentation - façon powerpoint - de quelques cartes postales. Anticipant la critique, Areva a d’ailleurs intitulé son film « épopée de l’énergie » et non « histoire de l’énergie ». C’est bien une fiction qui est ici montrée, pas une réalité, malgré l’emploi du terme « histoire » dans le commentaire du spot.
Leçon n°2 : les sources d’énergie n’ont pas été exploitées de manière successive depuis l’apparition de l’Homme sur Terre. Le vent sert toujours à faire avancer nos voiliers, le bois brûle encore dans nos chaudières et l’hydroélectricité demeure la première source d’énergie renouvelable dans notre pays. De nouveau, le film d’Areva chasse toute complexité pour présenter une vision de l’histoire de l’énergie nécessairement fausse et simplement linéaire.
Leçon n°3 : le film est incohérent. En effet, les énergies éoliennes et hydraulique ne sont pas des « énergies avec plus de carbone » auxquelles aurait succédé une énergie (nucléaire) « avec moins de carbone ». En réalité, c’est seulement avec le charbon que le nucléaire pourrait tenter de mettre en valeur ses émissions de carbone. Même en procédant par tableaux successifs, la publicité ne peut convaincre de la logique de l’enchainement choisi.
Recréer un Imaginaire
Mais il y a plus important que de réécrire l’histoire dans ce film où la forme est bien plus importante que le fond. La priorité d’Areva n’est pas tant de mobiliser du temps de cerveau disponible que nos émotions. Ce film digne d’un jeu vidéo en 3D a un but premier : associer une émotion positive au nucléaire. Les images sont agréables, le rythme est soutenu et le spectateur a le sentiment d’être embarqué dans un simulateur de vol : le film est donc ludique, de l’ordre du jeu. Pour ne pas fatiguer le spectateur, pas de texte, pas de sous titres et un commentaire minimaliste dont le contenu est d’ailleurs affligeant « l’histoire continue de s’écrire ».Par ailleurs, la précision des images et de leur enchainement émettent ce message, déjà porté en 2004 par Areva : les ingénieurs du nucléaire sont des « experts en énergie ». L’idée d’expertise, de maîtrise, de sécurité jaillit de ce film grâce à une forme parfaitement maîtrisée. Enfin, Areva redessine aussi l’imaginaire du nucléaire au travers des personnes le représentant. Le nucléaire ne peut plus être personnifié par des technocrates en costume cravate gris. Pour ce faire, un vrai faux making of accompagne la publicité, qui n’est en réalité rien d’autre qu’une deuxième publicité.
Si vous pensiez que les responsables de la filière nucléaire étaient gris, vous vous trompiez. Le porte parole d’Areva et les jeunes-dans-le-vent de l’agence de publicité donnent une image bien plus positive, bien plus moderne et séduisante de cette énergie. Le film lui-même se termine sur une scène fête sur le toit d’un immeuble en bord de mer ou de jeunes jet setteurs se trémoussent voluptueusement. Vous l’avez compris : les jeunes qui sont beaux, bronzés, sportifs, sympas et en bonne santé aiment le nucléaire. Seul élément étrange de ce nouvel imaginaire du nucléaire : la représentation de la nature. Tel un lapsus, Areva figure l’avenir sous la forme d’une fête sur le toit d’un immeuble situé en pleine zone littoral en bord de mer. Pas très écolo donc.
Pourquoi cette publicité maintenant ?
Le film d’Areva aurait fait l’objet d’un budget colossal de plusieurs millions d’euros (NDLR :15 millions, créations et achat d’espaces inclus). C’est dire l’importance qui lui est attachée par les responsables de cette entreprise. En réalité, le film doit fait croire le contraire de ce qui se passe dans la réalité : la filière nucléaire française va mal. Outre des contrats ratés à l’étranger, les difficultés liées à la construction de l’EPR, les accidents grave sur le site de la mine d’extraction d’uranium au Niger, Areva doit faire face à une menace réelle : l’émergence des notions de « mix énergétique » et d’« économies d’énergie ». Le nucléaire est fondamentalement une énergie hégémonique qui doit représente la plus grande partie de notre consommation finale d’électricité.
L’avènement des énergies renouvelables créé un risque de ringardisation de l’atome qui devait être prévenu. Pour ce faire, les stratèges d’Areva ont eu l’intelligence de ne pas rechercher à ouvrir – au moins publiquement - un front avec les énergies renouvelables mais ont plutôt tenté de se fondre dans le camp ennemi avec une idée toute simple : le nucléaire est lui aussi une énergie renouvelable. C’est ainsi que depuis plusieurs années, le lobby nucléaire a pour obsession d’intégrer le nucléaire parmi les énergies renouvelables. Malheureusement ce combat a été pour l’instant perdu, non seulement lors de la rédaction du paquet européen énergie climat en décembre 2008 mais aussi lors de l’élaboration des lois issues du Grenelle de l’environnement. Aucun de ces textes ne qualifie le nucléaire d’énergie renouvelable.
Et pour cause car la ficelle est un peu grosse, la production d’énergie nucléaire procède d’un combustible fossile qui est tout fait épuisable et nullement renouvelable. Dans son film Areva remet pourtant le couvert. Ainsi, le plan qui montre les tours aéroréfrigérantes d’une centrale nucléaire ne s’accompagne pas seulement d’un changement de météo (le soleil apparaît) et d’un changement de style musical (on passe du classique à l’électronique). Ce plan expose en réalité trois centrales : nucléaire, éolienne et solaire. Nul doute que les auteurs ont ici cherché désespérément un point commun entre le solaire, l’éolien et le nucléaire. Le seul qui existe semble être cette notion de « centrale ». A bien regarder cette image on a d’ailleurs le sentiment que la centrale nucléaire n’est pas nécessairement la plus imposante, comparée au parc éolien en mer et à la centrale solaire au sol, implantés à proximité immédiate.
Tout est relatif n’est ce pas. Et tout est complémentaire. Sur le même plan, la rotation des pâles des éoliennes semble participer du même mouvement que l’activité de la centrale nucléaire dont les cheminées rejettent si peu de vapeur. Total n’avait pas hésité dans une précédente publicité à employer l’expression « énergies complémentaires » quand Areva forgeait le slogan de « l’énergie au sens propre ». En toute hypothèse, l’énergie atomique semble bien moins violente que ce charbon qui rend le ciel gris et fait couler la sueur sur les fronts des travailleurs. La caméra nous précipite d’ailleurs brutalement dans le brasier de la chaudière d’une locomotive à vapeur pour bien nous convaincre du contraste entre l’époque pacifique et dansante du nucléaire et la tristesse du monde du charbon.
Cette publicité intervient donc à un moment crucial de l’histoire, non pas de l’énergie mais d’Areva. A la veille d’une augmentation du prix de l’électricité, d’un vaste démantèlement ou renouvellement du parc nucléaire qui devrait coûter des fortunes, d’une redistribution des cartes avec EDF, Areva devait communiquer pour garder la tête hors de l’eau. C’est fait et le résultat est certes brillant. Raison de plus pour décrypter ce qui n’est d’abord, ne l’oublions pas, qu’une opération de propagande. Cette campagne de publicité intervient d’ailleurs à un moment où une autre campagne, de dénigrement cette fois, est en cours contre les énergies vraiment renouvelables. C’est ainsi que l’éolien croule sous les recours en justice, que le solaire photovoltaïque vient de faire l’objet d’un moratoire, que ses acteurs sont qualifiés de spéculateurs, que ses investissements sont désormais qualifiés de « niches fiscales » ou d’instruments de « spéculation ». La diabolisation des renouvelables et la banalisation du nucléaire participent d’un même mouvement.
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