« Vivre mieux : vers une société écologique », c’est le nom caressant du « programme d’action pour les temps qui viennent » d’Europe Ecologie - Les Verts (EELV), présenté samedi 17 décembre par sa candidate Eva Joly. Faisant défaut par son imprécision – EELV a promis de chiffrer les mesures en janvier -, il a le mérite d’être relativement complet et d’aborder une flopée de sujets, significatifs du cheminement de « l’écologie politique » d’EELV vers les questions sociales et économiques.
Si le projet se focalise aussi sur les questions traditionnelles des Verts – l’énergie notamment, avec des objectifs de 40% de renouvelables d’ici 2020 (on en est à 15% en 2010), de réduction de 15% de l’énergie consommée d’ici 2020, et de sortie du nucléaire en 2031 - il fait également la part belle à l’enseignement, l’immigration (fermeture des centres de rétention pour migrants...), la justice (indépendance du parquet...), ou encore la crise économique (taxer les transactions financières, réduire la taille des banques, etc).
Mais parmi les 102 pages du projet, trois propositions ont particulièrement suscité le débat :
Créer un million d’emplois verts
« La France est malade du chômage. La seule solution qui n’a pas été essayée est de développer l’économie verte », ce qui aboutirait à « créer un million d’emplois » d’ici 2020, avançait, samedi, la candidate aux lunettes rouges.
Le texte d’EELV est un poil moins ambitieux, promettant « la création d’au moins 600 000 emplois sur la mandature par la transformation écologique de l’économie. » Mais qu’importe ces imprécisions, tempère Denis Baupin, l’un des rédacteurs du projet et adjoint du maire de Paris chargé du développement durable. Ce qui compte, c’est de rechercher des filières « intensives en emploi » plutôt que « intensives en capital ». « A énergie comparable, le nucléaire produit sept fois moins d’emplois que les énergies renouvelables, secteur dans lequel la France est pourtant le seul pays à connaître des plans sociaux », reproche-t-il. Allusion aux pertes d’emploi dues au moratoire dans le secteur photovoltaïque. En effet, selon le dernier bilan de l’agence Trendéo, la filière solaire a créé près de 2 000 emplois directs en 2010, contre moins de 100 en 2011.
Le secteur vert est pourtant globalement assez dynamique, « les écoactivités ont mobilisé, en 2009, 427 100 emplois en équivalent temps plein, en hausse de 0,7% par rapport à 2008 malgré la récession », selon un rapport de mars 2011 de l’Observatoire des métiers verts (ministère de l’Ecologie). Autant dire que la tendance à la hausse est déjà amorcée. Dans un autre rapport de janvier 2010, du ministère de l’Ecologie - qui se tourne, lui, vers le futur -, on retrouve curieusement ce chiffre des 600 000 emplois qui seront créés dans les filières vertes entre 2009 et 2020, grâce aux mesures du Grenelle de l’environnement. 225 000 dans l’électricité, 100 000 dans les transports, 40 000 dans l’eau, l’air et les déchets... Les objectifs d’EELV - bien que tablant sur la période plus courte 2012-2017 - seraient-ils déjà bien entamés par le Grenelle ?
Par ailleurs, il est bien beau de créer des emplois verts, mais comment ? Le programme se montre peu disert sur le problème d’adéquation entre les formations et les emplois de l’économie verte. En 2010, le ministère de l’Ecologie soulignait que 16 000 offres proposées par Pôle emploi dans les métiers verts ne trouvaient pas preneurs - dont 75% demandant des qualifications inférieures ou égales au bac pro.
→ Pour en savoir plus : Hors-série Terra Eco & Ademe « 100 métiers d’avenir - trouver un emploi dans l’économie verte »
Passer aux 32 heures
L’idée : partager le temps de travail non pas entre salariés et chômeurs, mais entre chacun, en travaillant moins. Pour Denis Baupin, la courbe du temps de travail qui suit celle de la croissance de la consommation va dans le mur. Car vient un moment où « on ne peut pas manger deux steaks par repas, dormir dans deux lits ou regarder deux télés en même temps. En plus, on se heurte à deux obstacles : les limites des ressources de la planète, et la dette, des ménages comme de l’Etat, creusée pour relancer une croissance artificielle. »
32 heures ? De quoi faire pâlir tous ceux qui ont déjà mal avalé les 35 heures de Martine Aubry. L’UMP n’a pas tardé à réagir dans un communiqué : cette mesure signera la mort de la compétitivité des entreprises et entraînera des délocalisations. Pire : « il est irresponsable politiquement de vouloir faire croire aux Français que l’on pourra sortir de la crise et retrouver les chemins de la prospérité en travaillant moins, alors que c’est en se remontant les manches et en travaillant plus que nous nous en sortirons », soutient le parti.
L’idée n’est cependant pas nouvelle, défendue de longue date par l’économiste Pierre Larrouturou. Dans une interview à Bastamag , il explique : « La plupart des économistes reconnaissent que les délocalisations ne sont responsables que d’environ 15% des destructions d’emplois. La vraie cause du chômage, ce sont les gains de productivité colossaux enregistrés depuis les années 1970. La productivité a été multipliée "seulement" par 2 entre 1820 et 1960, puis par 5 depuis 1960 grâce à la multiplication des robots et des ordinateurs. Parallèlement, sur les quatre dernières décennies, le temps de travail hebdomadaire a quasiment stagné, alors qu’il avait presque diminué de moitié durant le siècle précédent. » Et de prendre l’exemple de Mamie Nova, chez qui la semaine de 4 jours a aussi permis « une hausse de la qualité de vie au travail ».
Encadrer les loyers
« Maîtriser les loyers en les encadrant à la location, en alignant les premiers loyers au niveau du quartier et en plafonnant les prix au m2 ». Voici une mesure qui a fait jaser. « Il y a même un petit pays où cela fonctionne, un petit pays exotique : l’Allemagne », ironise Eva Joly. « Presque vrai », répond le blog des Décodeurs du Monde.fr : en Allemagne, un dispositif juridique permet au locataire de se tourner vers la justice s’il juge que son loyer est « supérieur de 20% aux loyers pratiqués pour des logements équivalents » dans le voisinage.
Côté PS, la proposition est reprise par Michel Sapin, chargé du projet présidentiel de François Hollande, lundi 19 décembre sur France Inter (115ème minute) : il « sera nécessaire d’encadrer les loyers dans les zones de France où c’est extrêmement tendu », lâche-t-il, soulignant que ce n’est « pas le cas partout ». Proposition « stupide », réplique Benoist Apparu, secrétaire d’Etat au logement, qui craint que les propriétaires ne revendent illico leur appartement, ou du moins, n’entreprennent plus aucun travaux d’entretien.
Pour Denis Baupin, la voix d’Apparu est celle de « la France des propriétaires », défendue par le gouvernement au détriment des droits des locataires. La mesure ne touchant que les zones où les prix de l’immobilier flambent, ces derniers ne seront de toute façon pas à plaindre, estime le blog Avec ou sans toit de Libération.fr : « La rentabilité locative n’a cessé de croître (...) et la valeur des logements a triplé à Paris depuis 1998 et plus que doublé en banlieue. Le retour sur investissement est tout à fait correct. Il y a peu de chances que les propriétaires arrêtent de louer au prétexte que les loyers seraient plafonnés, car ils perdraient dans ce cas tout revenu locatif (souvent entre 10 000 et 15 000 euros par an pour un deux pièces à Paris). De plus, ils seraient soumis à la taxe sur les logements vacants. »
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