Sa japhabelle est sa fierté. Dans sa ferme de Port-Sainte-Marie (Lot-et-Garonne), Jean-François Berthellot cultive dix hectares de cette variété paysanne de blé tendre avec lequel il fabrique la farine qui alimente ses deux fournées de pain hebdomadaires. L’agriculteur-boulanger, vice-président du Réseau semences paysannes, a mis dix ans à trouver le blé qui convient à ses terres. Sa japhabelle ne figure sur aucun catalogue de semences. Elle est le résultat d’une centaine de croisements de plus de 50 variétés anciennes de blés. « Nous cultivons en bio depuis trente ans, nos terres ne sont pas très riches et nous n’utilisons pas de fertilisant, explique-t-il. Les variétés des semenciers sont performantes dans des conditions de culture qui n’ont rien à voir avec les nôtres, elles sont toujours en décalage quand on les utilise. Or, il nous fallait un blé qui se débrouille bien chez nous et qui puisse s’adapter au fil du temps et des changements dans notre environnement. »
L’agriculteur s’est donc lancé dans un programme de sélection participative, épaulé par des chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra). Un travail de pionnier. Car la quasi-totalité du blé tendre semé dans l’Hexagone, conventionnel ou bio, provient de variétés créées par des semenciers professionnels. Elles sont homogènes – les plantes sont génétiquement identiques entre elles et feront des enfants aussi identiques. La sélection à la ferme repose sur le principe opposé. Il s’agit de brasser la diversité génétique des blés. Dans la japhabelle, même si toutes les plantes mûrissent en même temps, les brins n’ont pas tous la même hauteur, la même couleur. Certains épis sont rouges et barbus, d’autres jaunes et sans barbe. La japhabelle est une variété hétérogène.
Les recherches entreprises depuis plusieurs décennies à l’Inra du Moulon, à Gif-sur-Yvette (Essonne), par les équipes de la généticienne Isabelle Goldringer l’ont prouvé. La chercheuse a montré la capacité d’adaptation climatique de ces variétés appelées « populations ». Au milieu des années 1980, des blés, issus de nombreux parents différents, ont été distribués dans plusieurs stations expérimentales, aux conditions environnementales contrastées. Sur chaque site, les chercheurs ont récolté et resemé, laissant faire la sélection naturelle. Les populations de blé cultivées dans le Sud sont devenues, en moins d’une décennie, plus précoces. « La différence s’est révélée très significative : nous avons montré que des populations hétérogènes ont la capacité de s’adapter au climat local, alors que les variétés fixées, homogènes, n’ont pas ce potentiel-là », souligne Isabelle Goldringer. Variations de température et de pluviométrie, aléas d’une année sur l’autre… Alors que le changement climatique influe déjà sur le paysage agricole, la diversité génétique des variétés paysannes minimise les accidents et les pertes de récolte.
Maïs, tomate et châtaignier
Pas étonnant dans ces conditions qu’une partie du monde paysan regarde avec intérêt ces expériences. « Aujourd’hui, il y a des groupes partout en France qui ne réunissent encore qu’une centaine de fermes mais où chaque réunion attire bien d’autres agriculteurs, assure Isabelle Goldringer. Même si l’on part d’un tout petit mouvement, c’est exponentiel. » Après le blé, des fermes se sont également lancées avec le maïs, la tomate et le châtaignier. Toutes acceptent la contrepartie : des rendements moindres et l’impossibilité de commercialiser leurs propres semences. Mais un gage d’indépendance et de stabilité face au changement climatique. —
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