Ophélie Véron est blogueuse et chercheuse en sciences sociales
La conférence de Paris s’apprête à ouvrir ses portes dans un contexte tout aussi tendu que délicat. La menace terroriste semble peser davantage aux yeux de l’Etat que la menace climatique et les manifestations de la société civile en marge ont été interdites. Pourtant, à l’heure où l’ONU sonne le dramatique bilan de vingt ans de catastrophes naturelles et comme l’a souligné récemment Bruno Latour, le changement climatique requiert un état d’urgence bien plus pressant que celui mis en place à l’encontre de Daesh. Dans ces circonstances, que faut-il attendre de la COP21 ?
Sans suspense, on nous fera le tableau d’un « succès ». Un succès risqué, fragile, mais un succès prometteur, annonciateur d’un véritable changement à l’issue d’un rendez-vous que tous dépeignent comme celui de la « dernière chance ». Déclaration universelle des droits de l’humanité, engagements nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), ambitions d’un accord juridiquement contraignant… Rien ne manque pour imaginer qu’à l’inverse de Copenhague cette fois-ci la planète va triompher.
Rappelons que la limite des 2°C reflète un niveau dangereux de réchauffement
Et pourtant, la planète va-t-elle vraiment triompher ? Quand on se penche sur les textes qui feront l’objet des débats, on est en droit de douter. D’abord, les engagements volontaires des Etats, déposés en amont de la conférence – de loin, une merveille. Imaginez : les promesses de réduction cumulées pourraient conduire à l’émission de seulement 55,5 gigatonnes (Gt) en équivalent CO2, soit 4 Gt de moins que si aucune mesure n’était prise. Pourtant, à en croire le rapport 2014 du Programme des Nations unies pour l’environnement, si l’on veut se maintenir en-dessous du seuil de réchauffement de 2°C, c’est une fourchette de 30 à 44 Gt en 2030 qu’il faut viser. Echec, donc. Du côté de la hausse de température, on aboutirait à 2,7°C en 2100 si les engagements nationaux sont respectés. Certes, c’est moins que les 4 à 5°C projetés avant la remise des contributions, mais, comme le souligne Christiana Figueres, secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), « ce n’est en aucun cas suffisant ». Rappelons au passage que la limite des 2°C reflète un niveau dangereux de réchauffement et que bon nombre d’Etats insulaires préconisent un objectif de 1,5°C. Echec encore.
Et quid de l’avant 2020 ? Les engagements étatiques concernent la période post-2020. Or, si l’on en croit le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), le réchauffement climatique n’est pas linéaire et est accéléré par la concentration des émissions de GES dans l’atmosphère. Il faut donc que les Etats prennent des mesures significatives avant 2020. Une fois de plus, échec. Ajoutons enfin que les contributions recourent à des émissions négatives, à savoir, technologies de captation et stockage du carbone, reforestation, transports électriques, travail sur les sols : tout autant de techniques « vertes » qui ne sont pas assez avancées encore pour aboutir à des solutions d’atténuation concrètes et applicables à grande échelle. De changements structurels, relocalisation de l’économie, baisse de la consommation (notamment de produits animaux – l’élevage étant le secteur n°1 des émissions), il n’est pas question.
Les termes d’énergies fossiles et d’énergies renouvelables sont absents des textes négociés
De quoi également ne sera-t-il pas question lors de la COP21 ? La transition énergétique : les termes d’énergies fossiles et d’énergies renouvelables sont absents des textes négociés. Le commerce international : la contradiction entre les politiques climatiques et celles de libre-échange, Tafta en tête, n’est pas relevée. L’adaptation au changement climatique : celle-ci n’est abordée qu’en marge des politiques d’atténuation, ce qui revient à nier les effets du réchauffement affectant déjà des populations souvent défavorisées. Le financement : les engagements financiers des Etats face à l’aggravation du réchauffement sont mis de côté. Même chose des 100 milliards de dollars que les pays riches ont promis à Copenhague envers les Etats les plus démunis. Enfin, la reconnaissance de la responsabilité des pays développés dans le changement climatique – ceux-là mêmes qui devraient fournir le plus d’efforts pour limiter la hausse des GES et offrir leur soutien aux pays défavorisés au moindre poids environnemental – est menacée. La plupart des pays développés présentant des objectifs très éloignés de ce qu’ils devraient avancer, les contributions ne sont pas équitables.
Face à ce « succès » annoncé, que faire ? Dénoncer le contenu des négociations. Ne pas voir dans une éventuelle réussite de la COP21 la promesse d’un monde meilleur, mais des lauriers insuffisants sur lesquels nos dirigeants, entreprises pétrolières et greenwashers de tout genre, se reposeront. Comme le préconise le sociologue et activiste américain John Foran, il faut dire « non » à la COP21, mobiliser la société civile, politiser les débats, en faire une véritable question publique et un enjeu citoyen. Bref, braver les interdictions, dresser les lignes rouges, s’engager. C’est seulement ainsi que pourra triompher la justice climatique.
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