A moins de trois semaines du printemps, les piégeurs affûtent leurs armes. Dans leur ligne de mire, le frelon asiatique, déclaré ennemi public n°1 par nombre de communes touchées par cet hyménoptère venu de Chine, soupçonné de décimer les colonies d’abeilles et terrorisant les propriétaires de jardins. « Appel aux volontaires pour piéger les frelons asiatiques », crie La Dépêche du Midi, à Tarbes ; « Fabriquez votre piège et sauvez les abeilles », encouragent même nos confrères de We Demain, en donnant le tutoriel d’un piège dit sélectif. Le modèle, une bouteille en plastique agrémentée d’une languette en carton est promue par la très active Association Action Anti Frelon Asiatique, qui harangue les foules en appelant à l’élimination de Vespa velutina, nom savant de la bestiole. En la matière, hélas, crier au frelon ne sert strictement à rien.
La vie trépidante et belliqueuse de la frelonne y est pour beaucoup. Les femelles sexuées et fécondées à l’automne, destinées à devenir reines, sont les seules à survivre pendant l’hiver. Au printemps, ce sont elles qui, sortant de leur léthargie et de leur cachette saisonnière, fabriquent un nid, généralement dans un arbre, puis y pondent et reconstituent une colonie. Et quel nid ! Composé de différentes galettes de papier mâché, il peut atteindre jusqu’à 1 m de haut et 80 cm de diamètre.
C’est après avoir disséqué 77 de ces spectaculaires habitacles qu’une équipe de chercheurs de l’Institut de systématique, évolution, biodiversité du Muséum national d’histoire naturelle et de l’Institut de recherche sur la biologie de l’insecte de Tours a sorti la première publication scientifique sur la structure et l’évolution des colonies de Vespa velutina, bien connu en Asie mais peu étudié. Les biologistes ont ainsi pu quantifier la bête : un nid produit 13 000 individus entre avril et décembre, avec un maximum de 2 000 individus présents au mois d’octobre, et au moins 550 femelles sexuées, celles qui assureront la descendance l’année suivante. « Elles partent par vagues successives à l’automne et, quand on connaît sa capacité de dispersion de 60 kilomètres, il est clair qu’aucun piégeage ne peut freiner ce front d’invasion », explique Quentin Rome, responsable du programme d’étude du frelon asiatique au Muséum national d’histoire naturelle.
Importation de poteries chinoises en 2004
Pire, le piégeage de printemps favorise la survie des reines en les privant de batailler à mort contre leurs congénères prises dans le guêpier. Explications : 95% des frelonnes ne survivent pas à l’hiver. Sur celles qui restent en vie au printemps, 95% meurent à leur tour en combat singulier avec leurs sœurs et cousines. « Elles essayent de voler le nid qu’a commencé à préparer une autre et se bagarrent pour cela, explique Quentin Rome. C’est un système de régulation naturel : plus il y a de reines présentes, plus la mortalité est élevée, si l’on en piège certaines, on libère le terrain pour d’autres qui n’auront même pas à se battre. »
La seule solution pour se débarrasser du frelon asiatique, arrivé dans l’Hexagone par le Lot-et-Garonne à la faveur d’une importation de poteries chinoises en 2004, et qui a désormais colonisé 70% du territoire français, serait de tuer toutes les reines, sans exception. Les questions morales posées par une telle entreprise mises à part, les chances de réussites sont faibles. « En tout cas, pour l’instant, le moins que l’on puisse dire, c’est que les pièges utilisés attrapent beaucoup d’insectes, mais très peu de frelons », note Quentin Rome.
En 2010, en Vendée, la Fédération départementale des groupements de défense contre les organismes nuisibles, un syndicat agricole, a coordonné 400 pièges répartis sur le département. Leur maigre butin se composait, à la fin du printemps, de 6 fondatrices pour 195 nids répertoriés. L’année suivante, les guets-apens avaient fait prisonnières 10 fondatrices pour 485 nids recensés ! Le syndicat qui assure toujours le suivi du frelon en Vendée explique désormais sur son site Internet que « la mise en œuvre d’un piégeage à grande échelle se révèle tout à fait inopérante » et appelle les particuliers, en dehors des apiculteurs, à éviter ces techniques.
Mortalité cachée des pièges
Aujourd’hui pourtant, les modèles de pièges circulant sur Internet et réalisables en un tournemain à la maison se vantent d’être sélectifs. La largeur du trou d’entrée empêche les plus grosses espèces d’y tomber et une éponge disposée au-dessus du liquide sucré servant d’appât permet aux petits insectes de survivre à la noyade et de ressortir rassasiés. « En réalité, on ignore dans quel état ils ressortent après avoir bu un coup !, signale Quentin Rome. Il y a une mortalité cachée à ces pièges, on ne connaît pas encore l’impact exact des campagne de piégeage sur la faune locale. » En 2009, à Bordeaux, une étude menée sur des pièges classiques – une bouteille renversée avec un liquide sucré au fond – a montré que seuls 0,55% des prises étaient des frelons asiatiques, et qu’en revanche chaque piège capturait 1 089 insectes en moyenne par semaine. En rajoutant une sortie pour les petits insectes, la sélectivité s’améliorait nettement, avec 6 insectes par piège et par semaine, mais seulement 1% de frelons ! Pas convaincant…
Plusieurs laboratoires de recherche, dont celui de l’université de Tours, planchent sur la mise au point d’appâts à base de phéromones, qui permettraient d’améliorer fortement l’efficacité des pièges sans tuer tout ce qui vole autour. Reste que la colère gronde dans les jardinets et les haies des pavillons de banlieue. Le réseau des centres antipoison français n’a pourtant pu établir aucune corrélation entre l’arrivée de Vespa velutina et une éventuelle augmentation des piqûres d’hyménoptères en France. Reste la piste de la haine des immigrés, même ailés. « Les gens ont peur des frelons et si, en plus, ils ne sont pas de chez nous… », soupire Quentin Rome.
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