Prenons une journée lambda. Au saut du lit, on appuie sur l’interrupteur. On a de fortes chances de puiser dans le filon nucléaire. Car l’atome fournit 13,8% de l’électricité mondiale. Or, l’uranium provient pour une part de plus en plus grande d’un pays d’Asie centrale coincé entre la Russie et la Chine : le Kazakhstan. Avec ses 15,5 millions d’habitants, il a pris la tête du marché, fournissant 33% de la production mondiale. De 14 020 tonnes d’uranium extraites en 2009, le pays devrait passer à 30 000 tonnes en 2018.
« Le Kazakhstan a envie de devenir le Dubaï caspien, souligne Patrice Geoffron, directeur du Centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières (CGEMP) de l’université Paris-Dauphine. Il a un sous-sol riche en uranium, en pétrole et en gaz. Grâce à ses ressources, il est l’un des seuls pays à avoir, en 2000, remboursé le FMI avec une demi-douzaine d’années d’avance ! » Et depuis l’accident de Fukushima ? « Les principaux leaders du marché dans les décennies à venir ne seront pas l’Europe, qui a en partie reculé sur le nucléaire, mais les grands émergents comme la Chine et l’Inde », estime-t-il.
On avale un bol de céréales. Puis on file sous la douche, le savon à la main. Au passage, on utilise de plus en plus d’huile de palme. Celle-ci est présente dans 50% des produits transformés, emballés et vendus en France, selon le Fonds mondial pour la nature (World Wild Fund, WWF). Et elle provient en grande partie d’Indonésie et de Malaisie, qui se partagent 86% d’un gâteau en perpétuelle expansion. Si l’huile de palme représentait 12% de la production d’huiles en 1983, sa part est passée à 26% vingt ans plus tard. Pourquoi un tel engouement ? D’abord parce que le palmier est une véritable machine à suinter de l’oléagineux et affiche un rendement six fois plus élevé que le colza et dix fois plus que le soja. Aussi, l’huile de palme, moins coûteuse et dotée de surcroît de caractéristiques utiles (un état solide à température ambiante, une meilleure résistance à la chaleur), a-t-elle gagné le cœur des industriels.
Non sans se faire des ennemis. Riche en acides gras saturés, elle est accusée de boucher les artères des consommateurs. Et les ONG lui reprochent de grignoter chaque année des milliers d’hectares de forêt. « Certains pays d’Asie du Sud-Est sont saturés [par cette production], comme le Vietnam, ou fortement dégradés [à travers leurs forêts], comme la Malaisie et l’Indonésie », explique Sylvain Angerand pour Les Amis de la Terre. De plus, la communauté internationale fait pression sur ces pays pour qu’ils stoppent le processus de déforestation et limitent les émissions de CO2. Alors, « les entreprises anticipent et se déplacent vers l’Afrique ». La malaisienne Sime Darby, par exemple, numéro un du secteur, a signé une concession de 220 000 hectares au Liberia pour soixante-trois ans. Deux autres groupes lui ont emboîté le pas. Soit 600 000 hectares dévolus à l’huile de palme. L’Afrique sera-t-elle le prochain grenier à huile ?
La douche passée, on grimpe dans son auto montée sur hévéa. Une matière souvent produite en Thaïlande. Depuis cinquante ans, la production y a explosé : 186 100 tonnes en 1961 et plus de 3,2 millions en 2010, soit un tiers de la production mondiale de caoutchouc d’origine naturelle. La matière brute est envoyée vers la Chine, le Japon, les Etats-Unis. La Thaïlande s’est taillé la part du lion grâce à son climat qui permet un bon rendement (1,76 tonne par hectare). Mais aussi grâce à sa main-d’œuvre bon marché et à sa place stratégique dans le marché Asie-Pacifique. Et sa position risque encore de se renforcer avec la hausse du nombre de voitures sur les routes : la consommation de caoutchouc a augmenté, notamment de celui qui provient de l’hévéa, le synthétique ayant été handicapé par la montée des prix pétroliers.
Si la voiture est électrique, la batterie est faite de lithium. Ce métal est surtout extrait au Chili, qui assure 35% de la production mondiale. Mais qui pourrait être un jour rejoint par son voisin la Bolivie, détentrice des ressources estimées les plus importantes du monde (9 millions de tonnes contre 7,5 millions pour le Chili, à en croire les chiffres de l’Institut d’études géologiques des Etats-Unis [USGS]). Un jour, oui. Mais les experts doutent de la capacité de la Bolivie à développer rapidement la technologie nécessaire à l’extraction. Quoi qu’il en soit, la consommation du précieux métal est vouée à être multipliée par trois d’ici à 2020, notamment grâce à l’augmentation du nombre de véhicules électriques.
Dans les batteries de véhicules, on trouve parfois du cobalt, un sous-produit des mines de cuivre qui entre dans la composition des piles d’ordinateurs, de téléphones portables… La demande explose. Or c’est la République démocratique du Congo (RDC) qui s’est affirmée sur ce marché. En 2010, le pays fournissait 51% de la production mondiale et détenait 46% des réserves, selon l’USGS. Mais le climat politique qui y règne risque de mettre en danger la viabilité des grands projets d’investissement. D’autre part, dans un pays frappé par la violence et la corruption, la population profite difficilement de la manne. « La RDC est un pays magnifiquement doté par la nature. Elle a des ressources minérales importantes, un potentiel agricole, hydroélectrique extraordinaire. Malheureusement, le pays est toujours en queue de peloton sur les indicateurs de développement », rappelle Patrice Christmann, chef du service ressources minérales du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). L’est du pays est surtout soumis à la prédation minière de ses voisins, qui y financent une guerre civile très lucrative pour eux.
Cobalt, lithium mais aussi platine en Afrique du Sud, argent au Pérou ou terres rares en Chine. « L’histoire de l’humanité est marquée par la dépendance à l’égard des ressources minérales. Mais aujourd’hui la palette des ressources utilisées s’est diversifiée en raison de la vitesse et de l’ampleur des innovations. Là où nos grands-parents utilisaient principalement du plomb, du zinc et du cuivre, nous exploitons aujourd’hui presque tous les éléments du tableau de Mendeleïev, sauf quelques exceptions », souligne Christmann. Et avec l’augmentation de la population et l’appétit grandissant pour le confort, la gourmandise des pays ne risque pas de s’apaiser de sitôt. Si la demande persiste, il faudra produire d’ici à 2050 « plus de ressources minérales que ce qui a été produit depuis l’aube de l’humanité », écrit-il.
Qui dit nouveaux lieux de production dit nouvelles dépendances. Avec quels risques ? Après tout, la Chine – maîtresse des terres rares – a bien décidé de fermer légèrement les vannes de ses exportations. Que se passera-t-il si d’autres pays décident de couper les robinets ? « A l’occasion de tel ou tel changement, il y a toujours un risque de nationalisation des ressources », précise Christmann. Le World Business Council a notamment imaginé des scénarios pour l’industrie minière en 2030. Un de ceux-ci prévoit le retour à la nationalisation des ressources. La tentation existe, mais le « chacun pour soi » a ses limites, car il existe une interdépendance. « Aucun pays n’a tous les moyens d’assurer l’ensemble de la chaîne d’extraction et de transformation. Ce dont on a besoin, c’est de fédérer les savoirs, dans le respect de l’environnement, de manière responsable et sociale ! »
Alors, la pénurie ? « C’est un risque non négligeable pour certaines applications industrielles, dans les domaines de la santé, des transports, de la construction. Il y a un risque de rupture d’approvisionnement ou d’envolée des prix. Dans ce cas, les industriels devront peut-être faire porter une partie du surcoût aux consommateurs, ce qui entraînerait une inflation. » Alertée, l’Union européenne a d’ores et déjà rédigé un rapport recensant 41 matières premières. La disponibilité de 14 d’entre elles est jugée critique. Sans elles, les pays pourraient bien être obligés de revoir leur appétit dans certains domaines.
Cet article et ces infographies ont été réalisées en partenariat avec l’Atlas 2012 du Monde diplomatique : « Mondes émergents »
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