Dans un climat tendu par la mort d’un opposant au projet, le barrage de Sivens (Tarn) remet la question de la préservation des zones humides sur le devant de la scène. La construction de l’infrastructure, jugée surdimensionnée par un rapport publié ce dimanche 26 octobre (à retrouver ici en pdf), implique la destruction de 13 hectares de ces terres riches en biodiversité au profit de quarante agriculteurs céréaliers.
A l’autre bout de la France, dans le département du Nord, se joue le scénario inverse. Depuis dix ans, les communes de Hazebrouck, de Borre et de Vieux-Berquin rachètent des parcelles à une vingtaine d’agriculteurs, maïsiculteurs pour la plupart, dans l’optique de reconstituer des zones humides. Sur les berges entourant la rivière de la Bourre, un sous-affluent de l’Escaut, 50 hectares ont ainsi retrouvé leur état naturel. Ce parti pris, à contre-courant de l’artificialisation des terres, a reçu un des prix du génie écologique décernés le 21 octobre par le ministère de l’Ecologie. Libellules, brochets et batraciens ne sont pas les seuls bénéficiaires du projet. Pour les élus, le respect de « l’espace de mobilité d’un cours d’eau » constitue surtout une protection contre les inondations.
« Depuis des années, on tente de maîtriser le cours des rivières »
« En recréant ces zones humides, on rétablit un espace d’expansion de crues », explique Valérie Lorenski, directrice de la stratégie environnementale du syndicat des eaux du département. Pour elle, le projet témoigne d’une forte solidarité entre communes. De fait, laisser l’eau déborder sur les terres agricoles d’Hazebrouck, de Borre ou de Vieux-Berquin permet d’éviter aux 8700 habitants de Merville, une commune située à une dizaine de kilomètres en aval, de se retrouver les pieds dans l’eau. « Les tourbières et autres terrains humides constituent des zones tampons, les surplus s’y infiltrent, ce qui ralentit le débit, explique François Gazelle, hydrologue émérite au CNRS. A l’inverse, plus on contraint un cours d’eau, plus on supprime les zones humides alentour et plus sa crue est rapide. »« Le choix de laisser la nature reprendre ses droits marque une rupture profonde dans notre gestion de l’eau », se félicite David Maelle, directeur adjoint de l’Etablissement public territorial du bassin de la Lys, porteur de la première étude sur le projet. « Depuis des années, on tente de maîtriser le cours des rivières, confirme François Gazelle, on faucarde, on construit des digues, on modifie le tracé des fleuves pour couper leurs méandres et les faire couler en droite ligne. » De même, des « autoroutes à crue », ces fossés ayant pour vocation d’absorber le surplus d’un cours d’eau, sillonnent les parcelles agricoles.
Sacrifice économique
Héritage des Trente Glorieuses, ces aménagements ont permis aux communes de gagner des surfaces exploitables. « A leurs yeux, les berges des cours d’eau étaient avant tout des terrains plats et facilement disponibles, dont on aurait eu tort de ne pas tirer parti, résume François Gazelle. Laisser un ruisseau déborder sur ses zones de crue, c’est un sacrifice économique. » Mais cette « politique techniciste », selon les mots de David Maelle, a eu son lot d’effets pervers. « On s’est rendu compte qu’encadrer un cours d’eau revient à le faire avancer beaucoup plus vite et beaucoup plus haut », confirme François Gazelle. Dans les trois communes du Nord, les digues élevées en 1966 ont été démolies. L’affluent de la Lys a désormais le droit de quitter son lit. Résultat, lors des fortes pluies de juillet dernier, les habitants de Merville ont gardé les pieds au sec.Digues repoussées et remises à l’eau
L’initiative du Nord n’est pas isolée. D’un bout à l’autre du pays, l’homme se résigne petit à petit à laisser les rivières suivre leur cours. La Communauté urbaine de Strasbourg, également lauréate du Prix national du génie écologique, s’est vu récompensée pour la restauration d’un réseau de zones humides. Parmi les prouesses saluées par le ministère, permettre au Soufflet, un cours d’eau autrefois dévié « de divaguer librement dans son lit ». En Camargue, des digues qui jouxtaient certaines rivières ont été repoussées de 100 à 200 mètres. Sur la rive droite de l’Adour, entre Dax et Bayonne, les remises en eau volontaires de terrains se multiplient…
« Ces initiatives restent marginales, nuance François Gazelle. Les agriculteurs, souvent en grande difficulté économique, s’accrochent au moindre are de terre. » La réticence est la même dans la plupart des collectivités. Pour celles-ci, rétablir des zones humides constitue au pire une dépense ; au mieux, un manque à gagner. Le projet de la Borre a par exemple coûté 6,2 millions d’euros. « Mais on évite ainsi des dépenses conséquentes liées aux inondations », précise Valérie Lorenski. Du côté des agriculteurs, le projet a été accepté sans heurts : « 98% des dossiers se sont réglés à l’amiable , souligne la directrice. En dehors des périodes de crue, il n’est pas exclu que certains reviennent dans cette zone. Mais plus question pour eux de cultiver du maïs en intensif. Seuls quelques bovins en pâturage partageront ces terres avec la rivière.
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