Le pétrolier ExxonMobil : coupable. Le gouvernement du Brésil : coupable. Les 90 multinationales responsables de 63% des gaz à effet de serre : coupables. Vendredi dernier, à Paris et Montreuil (Seine-Saint-Denis), les verdicts se sont enchaînés pour condamner les responsables du dérèglement climatique et d’autres destructions de l’environnement. En marge de la COP21, des militants écologistes venus du monde entier et leur figures de proue – le chef brésilien Raoni, l’essayiste canadienne Naomi Klein ou l’activiste indienne Vandana Shiva – ont profité d’être réunis à Paris pour mener les procès dont ils ont toujours rêvés. Juges, procureurs, interrogatoires contradictoires et plaidoyers : ces cérémonies symboliques, organisées dans des salles de spectacle, rappelaient celles du tribunal Russell-Sartre qui, dans les années 1960, s’était chargé de juger les crimes commis lors de la guerre du Vietnam. Comme à l’époque, ces tribunaux populaires visent à démontrer une carence de la justice. Cette fois, c’est l’impunité de ceux dont les activités menacent la vie sur terre qui est mise en cause. Dernier épisode de cette série avec les menaces qui pèsent sur l’Etat français.
Depuis juin, la justice climatique n’est plus exclusivement symbolique. L’été dernier aux Pays-Bas, 900 citoyens, rassemblés au sein de l’association Urgenda, sont parvenus à faire condamner l’Etat, devant un vrai tribunal cette fois, pour sa lenteur à agir contre le changement climatique. Estimant que le gouvernement « a le devoir de veiller à la protection et l’amélioration de l’environnement », le tribunal de La Haye a ordonné à l’Etat néerlandais de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 25% d’ici à 2020. Les Pays-Bas ont fait appel contre leurs propres citoyens, mais cette première victoire a donné des idées. Aux Etats-Unis des enfants de l’Etat de Washington ont fait condamner le ministère local de l’environnement pour la faiblesse de ces lois en matière de réduction des émissions. Deux mois plus tôt, la Haute Cour de justice de Lahore, au Pakistan, saisie par un agriculteur, ordonnait la création d’un « conseil climatique » pour forcer l’Etat à agir. En France, l’association Notre affaire à tous, créée à l’été 2015 sur le modèle de la grande sœur néerlandaise Urgenda, a pris les choses en main. Avec le dépôt ce 3 décembre, d’une « déclaration préalable » au président de la République ainsi qu’à quatre ministres, le scénario est plus que jamais susceptible de se reproduire en France. L’Etat français a deux mois pour répondre. Sans quoi il pourrait finir devant le juge administratif. Le verdict n’aura alors rien de fictif.
« Nous avons déjà des propositions très sérieuses dans le droit, résume Marie Toussaint, la présidente de Notre affaire à tous. Mais le droit n’est rien tant que les citoyens ne s’en emparent pas. » Pour elle, en matière de lutte contre le dérèglement climatique, « les négociations internationales ont beau être indispensables, elles sont lentes, il faut agir en parallèle ». Or, pour l’instant, les actes sont en-deçà de ce qu’ils devraient. « La France s’est engagée à baisser de 17% à 25% ses émissions. Or, on sait que la trajectoire actuelle nous mène au plus à 16%. Il avait également promis des mesures complémentaires pour lutter. L’abandon de l’écotaxe poids lourds et le maintien du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes vont à l’encontre de l’objectif. » En attendant que l’Etat réagisse, les procès fictifs continuent. Pour Marie Toussaint, ils constituent une étape clé dans l’émergence d’une justice climatique. « Le tribunal Russell-Sartre était un premier pas vers la création de la CPI », rappelle-t-elle.
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