Le pétrolier ExxonMobil : coupable. Le gouvernement du Brésil : coupable. Les 90 multinationales responsables de 63% des gaz à effet de serre : coupables. Vendredi dernier, à Paris et Montreuil (Seine-Saint-Denis), les verdicts se sont enchaînés pour condamner les responsables du dérèglement climatique et d’autres destructions de l’environnement. En marge de la COP21, des militants écologistes venus du monde entier et leur figures de proue – le chef brésilien Raoni, l’essayiste canadienne Naomi Klein ou l’activiste indienne Vandana Shiva – ont profité d’être réunis à Paris pour mener les procès dont ils ont toujours rêvés. Juges, procureurs, interrogatoires contradictoires et plaidoyers : ces cérémonies symboliques, organisées dans des salles de spectacle, rappelaient celles du tribunal Russell-Sartre qui, dans les années 1960, s’était chargé de juger les crimes commis lors de la guerre du Vietnam. Comme à l’époque, ces tribunaux populaires visent à démontrer une carence de la justice. Cette fois, c’est l’impunité de ceux dont les activités menacent la vie sur terre qui est mise en cause. Deuxième épisode de cette série avec le futur tribunal contre Monsanto.
Le procès n’a pas encore eu lieu. Mais ses organisateurs en ont esquissé les contours. Lors d’une conférence de presse qui se tenait jeudi 3 décembre à Place to B, espace dédié aux mobilisations autour de la COP21, la journaliste Marie-Monique Robin, la philosophe et activiste indienne Vandana Shiva et d’autres membres de la fondation Tribunal Monsanto ont annoncé la comparution de la multinationale du 12 au 16 octobre prochains à La Hague. « Quelle que soit la direction dans laquelle vous regardez, Monsanto a violé tous les principes du droit de l’environnement », a commenté Vandana Shiva pour justifier le choix de l’inculpé. Parmi les charges retenues : la commercialisation de produits – PCB, Lasso et certains composants de l’agent orange – qui « ont rendu des milliers de personnes malades », selon Marie-Monique Robin. Le micro circule. La liste des motifs d’inculpation s’allonge : Ronnie Cummins, défenseur américain de l’agriculture bio, souligne la dépendance des petits paysans aux semences transgéniques. Son collègue australien, Andre Leu, insiste sur le combat de la firme pour nier la dangerosité du glyphosate, principe actif du Roundup. L’entomologiste suisse Hans Rudolf Herren rappelle l’impact du modèle agricole promu par Monsanto sur le climat. « Ce n’est pas la seule firme concernée, d’autres sont prêtes à tout pour un dollar de profit en plus », reconnaît Marie-Monique Robin, marraine du futur tribunal. Mais ce carton plein de mauvais points en fait une valeur d’exemple.
Sur l’estrade, on refuse pourtant l’analogie avec le procès Russell-Sartre. « Ce sera un vrai tribunal avec de vrais juges, des vrais avocats et de vrais témoins », précise encore Marie-Monique Robin. Si les discussions aboutissent, l’événement pourrait même avoir lieu dans de vraies salles d’audience, à La Hague. A la barre défileront scientifiques, paysans, journalistes, membres de l’administration… « Le tribunal prendra appui sur les principes directeurs des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme, adoptés par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU en juin 2011 », explique Olivier de Schutter, ancien rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation. Le coût de l’opération – un million d’euros – sera supporté par la plus importante opération de financement participatif jamais réalisée « pour que ce procès soit celui des citoyens », précise Marie-Monique Robin. Cette somme doit également servir à soutenir les vraies poursuites qui découleront de l’événement. Car celui-ci vise à faire des émules. « Avec ce tribunal, on veut démontrer aux victimes qu’elles peuvent s’emparer du droit pour faire condamner la multinationale », explique René Lehnherr, informaticien suisse à l’initiative du projet.
« L’idée du tribunal m’est venue parce que des amis paysans en Colombie et au Mali m’ont raconté la dépendance dans laquelle Monsanto les avait plongés », reprend ce citoyen qui a commencé par fomenter ce projet dans son coin. « Ici, en Europe, on a la chance d’avoir une société civile qui marche bien, poursuit-il. Cette possibilité d’action nous donne une responsabilité vis-à-vis de ceux qui vivent dans des pays avec moins de libertés. » De Paris aux Etats-Unis, l’homme et ses acolytes s’activent déjà pour que le retentissement médiatique du procès compense son absence de portée juridique.
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