Chaque année, c’est la grande migration. 160 à 200 milliards de dollars (145 à 180 milliards d’euros) quittent les poches des Etats de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) et des BRIICS (Brésil, Russie, Inde, Indonésie, Chine, Afrique du Sud) pour rejoindre celles des producteurs et consommateurs d’énergies fossiles. Le dernier rapport de l’OCDE est formel : s’il décline progressivement, le soutien public à ces énergies polluantes est encore bigrement généreux. Pourtant l’équation semble simplissime : les subventions coûtent cher tandis que les pays cherchent à regonfler leur budget en ces temps de disette économique. L’extraction, la production et la consommation de ces énergies polluent localement et contribuent au changement climatique alors que supprimer les subventions pourrait permettre d’abonder le fonds vert onusien. Alors qu’attend-on pour siffler la fin du match ?
« C’est compliqué. Parce que ces subventions sont là au départ pour une raison, souligne Ivetta Gerasimchuk, chercheuse à l’Institut international du développement durable (IISD). Si vous les retirez, il faut offrir quelque chose en retour, il faut notamment continuer de protéger les groupes vulnérables socialement en les ciblant précisément. » Le rapport de l’OCDE pointe justement le cas de l’Indonésie qui a décidé de supprimer les subventions à la consommation d’essence dans son budget révisé de 2015. En toile de fond, il s’agissait de mettre fin à une injustice sociale, cette aide oubliant les plus pauvres, dépourvus de voiture. Pourtant l’effet sur les plus modestes pourrait bien persister… de manière indirecte : « La suppression des subventions pourrait faire augmenter les prix des biens à la consommation. Quel mécanisme peut-on alors introduire pour prévenir ce risque ? Selon notre étude, le plus efficace serait de subventionner directement les revenus des ménages par un chèque en leur laissant la liberté de le dépenser comme bon leur semble. C’est une piste de réflexion », avance Jehan Sauvage, analyste à l’OCDE et auteur principal du rapport de l’institut.
Et si les prix remontent ?
Difficile aussi de combattre l’inertie. « On dit souvent : “Dans chaque niche fiscale, il y a un chien qui dort”. En clair, il est très facile de mettre en place un mécanisme de soutien, mais très difficile de l’enlever une fois que des intérêts se sont installés », précise Jehan Sauvage. Et remonter l’histoire des mesures répertoriées dans l’inventaire de l’OCDE le prouve : « La plupart d’entre elles ont été mises en place bien avant 2000. Par exemple, aux Etats-Unis, on trouve de grosses subventions à la consommation et à la production qui datent des années 1970, à une époque où le pays s’inquiétait de l’embargo des pays arabes et des différents chocs pétroliers. De la même manière, des concessions fiscales ont été accordées aux producteurs américains en 1986 à un moment où, conduits par la découverte de pétrole en mer du Nord, les prix du pétrole se sont effondrés. Or, ces mesures sont toujours en place aujourd’hui », précise l’analyste. Et l’homme de poursuivre : « Le contexte économique, écologique a changé. Les Etats ont conscience que le changement climatique est bien réel. C’est le moment de s’interroger : ces mesures ont-elles toujours un sens ? »
Pas de doute pour les spécialistes, le moment est le bon puisque les prix bas du pétrole permettent aux Etats de retirer leurs billes sans que les populations en ressentent trop l’effet. Mais demain ? « La vraie question, c’est : “que se passera-t-il si les prix remontent ?” Est-ce que les gouvernements parviendront à maintenir leurs réformes dans un contexte de prix du pétrole à la hausse ? », s’interroge Ivetta Gerasimchuk. « Il est important pour l’OCDE de veiller à ce que, dans le futur, les gouvernements ne profitent pas de prix du pétrole à la hausse pour réintroduire des soutiens à ces énergies fossiles. Nous devons rester vigilants », abonde Jehan Sauvage, qui souligne l’importance de ces rapports bisannuels.
Un mélange de raisons
S’il est facile en ces temps de pétrole bon marché de réduire les aides à la consommation (80% des sommes recensées dans le rapport ), ce n’est pas le cas des aides à la production. Alors que le coût du baril flirte avec les 50 petits dollars (44,9 euros), « beaucoup de compagnies pétrolières et gazières ont des difficultés financières. Elles licencient des gens, il y a donc des pressions pour les gouvernements de soutenir ces industries », souligne Jehan Sauvage. Difficile encore de savoir, assure l’analyste, quelles seront les conséquences sur les aides à la production d’un prix du pétrole en berne. Le rapport de l’OCDE arrête son analyse en 2014. Reste qu’en Allemagne les transferts budgétaires aux mines de houille ont été divisés par trois entre 1998 et 2014 et doivent disparaître à l’horizon 2018. Question de concurrence déloyale dénoncée par l’Union européenne, de contrainte budgétaire, mais aussi de conscience environnementale.
« C’est toujours un mélange dans les pays que nous avons observés, poursuit Jehan Sauvage. Les Pays Bas ont réformé les avantages fiscaux et les concessions accordées aux consommateurs particuliers qui utilisent le diesel pour se chauffer ou aux agriculteurs qui l’utilisent dans leur tracteur. Leur réforme est à mettre au compte de la politique d’austérité mais aussi de préoccupations environnementales. D’autres pays comme l’Autriche (en 2013, ndlr) ou la République slovaque (en 2011, ndlr), ont de la même manière décidé d’aligner les taxes sur le diesel pour qu’il n’y ait pas de différence de traitement »« Les gouvernements s’inquiètent du changement climatique et font des efforts en vue des négociations à Paris »,rassure pour sa part Ivetta Gerasimchuk. La preuve ? « Un groupe de huit pays (Les Amis de la réforme des subventions aux combustibles fossiles, un groupe constitué en 2010, ndlr) s’est d’ailleurs affiché contre les subventions aux énergies fossiles. Il s’agit du Costa Rica, du Danemark, de l’Ethiopie, de la Finlande, de la Nouvelle-Zélande, de la Norvège, de la Suède et de la Suisse. Cette question arrive de plus en plus à l’ordre du jour des ministres de l’Environnement du G20. Les pays sont inquiets du réchauffement climatique et de l’état de leur budget »
Des fossiles aux renouvelables ?
Or, la réduction des subventions pourraient rapporter gros. « En Indonésie, les subventions à la consommation de produits pétroliers et d’électricité ont presque atteint 20% des dépenses totales de l’administration centrale en 2011 ; leur montant était alors à peu près égal à celui des dépenses dans l’éducation », souligne le rapport 2012 de l’OCDE. En Inde, la réduction des aides à la consommation de gazole a permis d’économiser 2,7 milliards d’euros entre 2012 et 2014. Aux Etats-Unis, la suppression des avantages fiscaux bénéficiant aux producteurs de combustibles fossiles pourraient gonfler le budget 2016 de 4 milliards de dollars par an (3,6 milliards d’euros).
Mais ces recettes pourraient elles être versées dans l’escarcelle climatique ? Le transfert est facile, en théorie. Après tout, dans le communiqué de presse qui accompagne le rapport de l’OCDE, le secrétaire général de l’institution s’insurge : « Les Etats dépensent, pour soutenir les combustibles fossiles, quasiment le double du montant nécessaire pour atteindre les objectifs de financement de la lutte contre le changement climatique définis par la communauté internationale, qui appelle à mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020 ». « Oui, même si le message n’est pas : “tout cet argent doit être donné au financement pour la lutte contre le changement climatique”. Il y a d’autres secteurs essentiels, comme l’éducation, la santé, les infrastructures… », nuance Jehan Sauvage. En tout cas, cet argent « pourrait servir à augmenter les filets de sécurité sociale pour les populations ou d’investir dans les énergies renouvelables. Evidemment, on ne prendra pas directement de l’argent aux énergies fossiles pour le verser dans le secteur renouvelable, mais disons que la suppression ou l’allégement des aides donnera plus de marge de manœuvre aux gouvernements. »
Et en France ?
« Depuis 2010, le gouvernement français a éliminé les aides fiscales à l’exploration et les exemptions de TVA sur les équipements de forage pétrolier et gaziers. Mais de nombreuses exemptions demeurent », souligne Lucy Kitson, de l’Institut international du développement durable. Sur le charbon, si la France a interdit, dès 2013, à l’Agence française de développement de financer la construction de centrales à charbon non équipées de dispositif de captage et de stockage de CO2, mais, malgré de nombreuses promesses, elle tarde encore à mettre en application son engagement de supprimer les crédits à l’exportation pour les projets de centrale via notamment la Coface (voir notre article).
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions