Scellée hermétiquement pendant 59 jours, 11 heures et 9 minutes, la porte de Skylab 3 s’ouvre enfin. Ce 25 septembre 1973, les trois astronautes de la Nasa respirent goulûment l’air qui s’engouffre dans l’habitacle. Ils apprendront par la suite avoir été exposés à de fortes doses de composés organiques volatils (COV), ces substances qui se dégagent des équipements électroniques, des peintures, des vernis, des colles… Inhalées, elles peuvent être néfastes pour la santé. L’agence spatiale s’interroge alors : comment épurer l’air des stations orbitales ? Le scientifique Bill Wolverton a l’idée d’utiliser des plantes. Dans les années 1980, il place des végétaux dans une pièce hermétique et injecte de fortes concentrations de polluants.
Hourra, certaines plantes sont très efficaces pour absorber les COV. La Nasa ne retient pourtant pas l’option. Dans la foulée, d’autres études, menées en conditions réelles, obtiennent des résultats contrastés. Impossible de conclure à l’efficacité des plantes en pot pour dépolluer les salons. Mais loin de la rigueur scientifique, Bill Wolverton fonde sa société d’épuration par les végétaux. C’est qu’il y a un marché à prendre, dans une période où l’on commence à se rendre compte que l’air intérieur – celui que nous respirons 90 % de notre temps – est souvent plus pollué que l’air extérieur. « Les commerçants ont joué sur les peurs du public face à ce nouvel enjeu sanitaire », analyse Pierre Toczynski, du cabinet de conseil en développement durable Inddigo.
En 2001, la France se dote d’un Observatoire de la qualité de l’air intérieur. Sans surprise, on voit alors fleurir dans les jardineries et les centres commerciaux des rayons spécialisés dans les plantes « dépolluantes ». Du jour au lendemain, une quarantaine de végétaux parmi les plus courants – yucca, ficus, lierre, fougère, chlorophytum, spathiphyllum… – deviennent un rempart contre, au choix, le formaldéhyde, le benzène, le monoxyde de carbone, l’ammoniac, le toluène, la fumée de tabac, etc. Les études de la Nasa sont alors brandies comme gage de sérieux, et tant pis si l’on oublie de préciser que les conditions atmosphériques d’un vaisseau spatial diffèrent un tantinet de celles d’une maison.
« Péché par enthousiasme »
Très vite, le monde de l’édition s’y met aussi et consacre des dizaines d’ouvrages aux vertus des plantes. La première à dégainer s’appelle Geneviève Chaudet. En 2007, cette paysagiste et fondatrice, en 2000, de l’association Plant’airpur, cosigne Les Plantes dépolluantes (Rustica). « Ce livre a amené un sujet qui a fait beaucoup parler et beaucoup vendre en jardinerie, admet-elle. Je l’ai écrit trop tôt. A l’époque, je n’avais que les résultats de la Nasa et les premières données de Phytair I. »Phytair, c’est le nom du programme que l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), Plant’airpur et le Centre scientifique et technique du bâtiment ont initié dès 2004 pour vérifier les conclusions de Bill Wolverton. Etalé sur six ans (2005-2011), il a montré dans ses phases I et II (jusqu’en 2009) que la plante araignée, le pothos et le dragonnier sont, en laboratoire, efficaces pour épurer l’air. « Mais dès 2010, l’Observatoire de la qualité de l’air a indiqué aux commerçants que l’argument marketing “ dépolluant ” était largement anticipé et qu’ils avaient, au mieux, péché par enthousiasme », explique Pierre Toczynski.
Pour lui, c’est carrément de la « tromperie ». Et il parle en connaissance de cause : de juin 2010 à juin 2011, la moitié des bureaux toulousains d’Inddigo ont été équipés de plantes dépolluantes, à raison de trois par employé. Les fréquents relevés ont permis d’aboutir aux mêmes conclusions que Phytair III : en conditions réelles, soit dans une pièce normalement aérée, l’impact des plantes est neutre.
De grandes enseignes persistent
Pour Damien Cuny, le chercheur lillois qui a dirigé Phytair, « il faudrait plusieurs centaines de plantes par mètre carré pour qu’elles soient aussi efficaces qu’une fenêtre ouverte ». Dès la fin de Phytair III, en 2011, l’Ademe a rendu un avis selon lequel « l’argument “ plantes dépolluantes ” n’est pas validé scientifiquement ». Damien Cuny ajoute : « Tant de gens s’étaient jetés sur ce qui semblait être une solution miracle que, quand on a présenté nos derniers résultats, certains ne nous ont pas crus. » On trouve encore aujourd’hui de grandes enseignes de jardinerie, comme Gamm Vert ou Jardiland – qui n’ont pas souhaité répondre à nos questions – qui vantent les qualités épuratrices d’une quarantaine de plantes sur leur site Internet. « J’y crois toujours, tranche Bénédicte Boudassou, auteure de Plantes dépolluantes (Larousse, 2009). Et je ne suis pas sûre que dire aux Parisiens d’aérer leur appartement soit mieux que de les inciter à mettre des plantes chez eux. »L’argument peut s’entendre lors des pics de pollution. Mais attention aux dérives, comme celle laissant croire qu’une plante absorbe le monoxyde de carbone d’une pièce, alors que ce gaz inodore qui s’échappe des chauffages défectueux tue chaque hiver des dizaines de personnes. —
Filtrer les polluants par la racine
Une plante en pot n’est pas un filtre à particules, c’est un système dit « passif ». Damien Cuny et l’asso Plant’airpur s’intéressent désormais aux systèmes « actifs ». Ensemble, ils se sont lancés en mars dans une expérimentation de trois ans. Le principe ? Propulser l’air chargé en COV d’une pièce à travers un mur végétalisé et utiliser le terreau, chargé de micro-organismes, comme filtre. Les racines des végétaux, comme les bactéries et les champignons contenus dans la terre, seraient bien plus efficaces que les feuilles pour digérer les polluants et les transformer en oxygène. —
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