Un groupe d’une dizaine de chercheurs de l’Inserm a épluché toutes les études disponibles depuis trente ans sur les expositions professionnelles et précoces (fœtus et jeunes enfants) aux pesticides. Sans être encore formellement avéré, l’impact des pesticides sur la santé se précise. Le point avec Sylvaine Cordier, épidémiologiste à l’Inserm, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale et membre de l’Institut de recherche sur la santé, l’environnement et le travail.
Terra eco : Après trente ans d’études sur les pesticides, a-t-on une bonne connaissance de leur impact sur la santé ?
Sylvaine Cordier : Les conséquences sur la santé de l’exposition professionnelle aux pesticides ont été bien étudiées. On sait désormais identifier les risques de développer des cancers et des maladies neurodégénératives comme Parkinson. Les chercheurs se sont aussi penchés sur les périodes de vulnérabilité, à savoir la grossesse et la petite enfance, pour déterminer l’impact de l’exposition de la femme enceinte sur le fœtus et le jeune enfant.Quels effets a-t-on relevés sur les enfants ?
Prenons un exemple, le cas du chlordécone. Ce pesticide a été largement utilisé pendant des décennies aux Antilles. Il est désormais interdit mais comme il persiste des siècles dans l’environnement, la population y est encore exposée par voie alimentaire. Et bien, là-bas, on constate davantage de cancers de la prostate et, chez les enfants, de troubles du neuro-développement, qui se mesurent en baisse des points de Q.I. (quotient intellectuel). Par ailleurs, les femmes exposées professionnellement aux pesticides pendant leur grossesse ont 50% de risques en plus que les autres que leur enfant développe, dans sa petite enfance, des leucémies. Elles-mêmes sont plus exposées aux risques de cancers, de lymphomes, de maladies de Parkinson, que la population générale.
Malgré toutes les études et toutes les preuves, on ne parle toutefois pas de lien de cause à effet. Pourquoi ?
Non, il subsiste des incertitudes, il manque encore des données, comme l’identification des circonstances d’exposition et des produits en cause. Mais les présomptions sont néanmoins fortes et l’on sait déjà qu’il faut réduire l’exposition aux pesticides de la population.Même les non-agriculteurs sont concernés ?
L’exposition concerne toute la population. On constate par exemple plus de cas de leucémies chez les enfants dont les mères, pendant leur grossesse, ont vécu à proximité d’une exploitation agricole, ou ont eu recours à des pesticides sur leurs lieux de résidence, qu’elles en aient utilisé dans leur jardin ou dans la maison, via par exemple un traitement antitermites, ou anticafards. Et puis bien sûr, en plus de cette contamination de l’air intérieur, il y a la contamination par l’eau du robinet et par l’alimentation. On parle de présence ubiquitaire des pesticides.Peut-on imputer aux pesticides les fatigues et douleurs chroniques et à ce jour inexpliquées que subissent de plus en plus de personnes ?
Il n’est pas possible de le dire, d’autant que d’autres facteurs peuvent entrer en ligne de compte comme les champs électromagnétiques, les radiations ionisantes, le tabac pendant la grossesse, etc. Mais du côté des pesticides, on constate une amélioration de la prise en compte des risques. On a tendance à retirer du marché des pesticides très persistants, comme le chlordécone, pour les remplacer par des pesticides à durée de vie plus courte.Quelles recommandations le collectif de chercheurs formule-t-il ?
Il ne nous revient pas de recommander de diminuer les usages de pesticides – c’est aux ministères de la Santé et du Travail de se prononcer là-dessus – même s’il est mieux d’éviter les usages à domicile et de privilégier les aliments non traités. Nous demandons une plus grande transparence des industriels dans l’accès à la composition de leurs produits. Et il faudrait également que la France se dote d’un registre des pesticides utilisés à tel endroit, pendant telle période, ce qui à ce jour n’existe pas. Cela permettrait de mieux identifier les sources et les voies de contamination de la population.A lire aussi : Le résumé de l’étude
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