Ce texte, signé Eduardo Galeano, poète, journaliste, historien et écrivain uruguayen, est extrait de son ouvrage El Libro de los abrazos (1989), paru en français aux éditions Lux en 2012 sous le titre Le Livre des étreintes. Il s’intitule, Los Nadies, « Les Riens ». Voici le texte original en espagnol, puis la traduction de Pierre Guillaumin.
Los nadies : los hijos de nadie, los dueños de nada.
Los nadies : los ningunos, los ninguneados, corriendo la liebre, muriendo la vida, jodidos, rejodidos :
Que no son, aunque sean.
Que no hablan idiomas, sino dialectos.
Que no profesan religiones, sino supersticiones.
Que no hacen arte, sino artesanía.
Que no practican cultura, sino folklore.
Que no son seres humanos, sino recursos humanos.
Que no tienen cara, sino brazos.
Que no tienen nombre, sino número.
Que no figuran en la historia universal, sino en la crónica roja de la prensa local.
Los nadies, que cuestan menos que la bala que los mata.
Les riens : enfants de personne à qui rien n’appartient.
Les riens : les aucuns, les inexistés, ceux qui courent en vain, ceux qui se tuent à vivre, les mal pris, éternellement mal pris :
Qui ne sont pas, même s’ils sont.
Qui ne parlent pas une langue, mais un dialecte.
Qui n’ont pas de religion, mais des superstitions.
Qui ne sont pas artistes, mais artisans.
Qui n’ont pas de culture, mais un folklore.
Qui ne sont pas des êtres humains, mais des ressources humaines.
Qui n’ont pas de visage, mais des bras.
Qui n’ont pas de nom, mais un numéro.
Qui ne figurent pas dans l’histoire du monde, mais dans les pages des faits divers.
Les riens qui valent encore moins que la balle qui les tue.
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