Pierre Blaise a besoin d’un épandeur à engrais pour ses six hectares de blé. Or le blé, ce n’est pas sa spécialité, ce n’est que la seconde année qu’il sème. L’agriculteur de Nérac, à la frontière du Lot et Garonne et du Gers, produit plutôt des légumes, en bio, pour la culture desquels il dispose de toutes les machines possibles et imaginables. Mais un épandeur à engrais pour grandes cultures, qui embarque 600 kg de produit et le répand par bandes de 24 mètres de large, ça vaut cher, 10 000 euros au bas mot. Pierre Blaise aurait préféré le louer. Allez trouvez ça dans les petites annonces du coin ! C’est finalement en quelques clics, qu’il a trouvé son bonheur, chez un collègue suréquipé pour les céréales, à deux coteaux de sa ferme. Le premier ne connaissait pas le second, et les deux hommes ont fait affaire, pour deux jours de location de l’épandeur, grâce à la plate-forme de location entre agriculteurs We Farm Up.
Ce Airbnb du tracteur, il fallait y penser. C’est ce qu’a fait Laurent Bernède, un céréalier du Lot et Garonne, lui aussi. « Moi, quand je monte au Salon de l’agriculture à Paris, je prends une chambre sur Airbnb c’est trois fois moins cher, et bien il faut faire pareil avec les machines », résume simplement le fondateur du site, lancé il y a trois mois. Il se veut une version modernisée, numérique, plus souple et potentiellement plus riche que l’entraide agricole, une tradition d’échange de services gratuit entre voisins, ou que les coopératives d’utilisation de matériel agricole (CUMA). Le principe repose, comme sur toutes les plateformes d’économie collaborative, sur la proximité et la transparence numérique.
Le matériel ? 30% à 40% du chiffre d’affaires
600 agriculteurs, de tout l’Hexagone, s’y sont déjà inscrits et peuvent désormais se mettre en contact avec d’autres et se noter entre eux. 300 machines agricoles y sont à louer, tracteurs, déchaumeurs, charrues, herses rotatives, bennes, semoirs, pulvérisateurs. Le trait commun à ces centaines d’engins, c’est qu’ils dorment la majeure partie de l’année dans un hangar ou à l’orée d’un champ. Chez Laurent Bernède, par exemple, le déchaumeur, utilisé pour enfouir en terre les tiges de céréales qui restent encore après la moisson, sert deux fois trois jours, pour les chaumes d’été et pour les chaumes d’automne. « Il vaut 40 000 euros, je mets dix ans à l’amortir ! Les charges mécaniques, c’est 30% à 40% du chiffre d’affaires d’une exploitation, c’est énorme et c’est fixe, il faut réduire ces coûts, il faut casser ces logiques de renouvellement permanent du matériel qui nous asphyxient, tout en disposant d’outils technologiques et performants », explique-t-il. Tel était l’avis de Pierre Blaise, à Nérac, lorsqu’il a fallu penser à dégoter l’épandeur à engrais. « Je me suis installé ici il y a huit ans, il a fallu tout acheter, je suis au maximum de ma capacité d’endettement ! », lance le cultivateur de légumes. Ravi de louer pour 100 euros par jour, dont 15% de commission qui revient au site, l’engin nécessaire à une seule et unique opération annuelle, l’agriculteur se tâte pourtant à proposer ses propres machines de maraîchage sur la plateforme. Par peur d’en avoir lui-même besoin au moment où elles seront dans d’autres mains. Question d’organisation.Assurées par le groupe Groupama, le succès de ces transactions entre fermes reposera sur le nombre élevé d’inscrits, pour qu’il y ait toujours une machine disponible quelque part en toute saison, sur le degré de connexion et la maturité collaborative des agriculteurs du cru. La plateforme doit pouvoir proposer une offre riche, à une heure maximum de tracteur de sa propre ferme, soit dans un rayon de 20 à 30 kilomètres. Reste à faire franchir le pas aux plus conservateurs d’entre les exploitants. « Payer le juste usage d’une machine, c’est très nouveau dans le monde agricole, explique Laurent Bernède. Un agriculteur, c’est un grand enfant, il adore ses machines, c’est irrationnel, c’est le prolongement de son cordon ombilical, mais la dureté de notre contexte économique va obliger tout le monde à évoluer. » L’entrepreneur rêve que les hangars des 500 000 fermes françaises soient tous un jour connectés et que, de clic en clic, plus un engin ne croupisse.
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