Le Japon éteindra sa dernière centrale d’ici à 2040. Voilà ce qu’a annoncé le Premier ministre japonais Yoshihiko Noda. « Le gouvernement va prendre toutes les mesures possibles pour amener la production nucléaire à zéro (le nucléaire fournissait 30% de l’électricité avant la catastrophe de Fukushima, ndlr) pendant les années 2030 », a déclaré Tokyo dans un document consacré au nouveau plan énergétique du pays. Une décision gravée dans le marbre ? Pas vraiment. Car les constructions nucléaires entamées avant la catastrophe de Fukushima pourraient être poursuivies et les réacteurs ainsi érigés fonctionner pendant quarante ans – soit pour certains jusqu’à 2070 -, si l’on en croit le ministre de la Politique économique.
Le ministre de l’Industrie a pour sa part confirmé que le gouvernement voulait faire preuve de « flexibilité ». « Le nombre zéro est peut-être symbolique politiquement mais en réalité, ça signifie peu de chose » conclut Tetsunari Iida, directeur de l’Institut pour les politiques d’énergies renouvelables.
Un mouvement populaire inédit
Le parti au pouvoir a-t-il simplement cédé aux sirènes de l’opinion ? Depuis avril dernier, des dizaines de milliers de manifestants se réunissent chaque vendredi devant le domicile du Premier ministre pour réclamer l’arrêt du nucléaire. Parmi eux : le prix Nobel de littérature Kenzaburo Oe ou le compositeur Ryuichi Sakamoto. « C’est assez unique au Japon qu’une manifestation naisse comme ça dans la rue, sans véritable organisateur, sans l’appui d’un syndicat ou d’un parti politique. Au début ça a commencé avec 300 personnes, aujourd’hui ça grandit notamment grâce aux réseaux sociaux », soulignait Noriyuki Ueda, un anthropologiste japonais, lors d’une rencontre entre chercheurs japonais et journalistes organisée par l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) à Paris. [1].« Avant Fukushima, le nucléaire était une question d’idéologie. Il y avait des gens qui étaient extrêmement contre et la communauté nucléaire qui était foncièrement pour. Les gens ordinaires n’en parlaient pas. Maintenant, la situation a changé, ils veulent participer au débat. Ces 50 000 ou 100 000 personnes qui se réunissent ne sont pas des activistes, ce sont des gens ordinaires », détaille pour sa part Shunji Matsuoka, économiste des questions environnementales.
Pour calmer les ardeurs, le gouvernement a organisé des débats publics dans onze villes en juillet et août et appelé les citoyens invités à choisir entre 3 scénarios : 0%, 15% ou 20% à 25% de nucléaire en 2030. Le résultat fut sans appel. 70% des Japonais interrogés optèrent pour le premier scénario, 11% pour le second et 17% pour le troisième. Avec l’échéance des élections générales en ligne de mire, le gouvernement a donc dû infléchir sa politique.
Changement politique, changement de cap ?
Mais leur décision pourrait être complètement renversée par une prochaine législature. « Aujourd’hui, le parti démocrate est au pouvoir mais il y a de fortes chances que les Libéraux remportent les élections. Or, ils sont très critiques vis-à-vis de cette politique de zéro nucléaire », rappelle Noriyuki Ueda. « Les Libéraux ont une grande faiblesse, poursuit le chercheur. Les 54 réacteurs en marche dans le pays avant Fukushima ont été construits pendant leur législature. Le parti veut protéger ses élus. » Les Libéraux auraient là un allié de taille : les grands entreprises énergétiques du pays. « Nous ne pouvons accepter cette décision – je ne peux pas croire que ce soit technologiquement possible », déclarait ainsi récemment Hiromasa Yonekura, président du Keidanren, le patronat japonais.Leur argument ? Il est à triple niveau. Pour les consommateurs, le prix de l’électricité pourrait, selon lui, doubler sans le recours au nucléaire. De quoi risquer de voir des entreprises délocaliser leurs activités. Toute l’économie du Japon, contraint à importer du gaz et du charbon, pourrait en souffrir. Enfin, les zones autour des réacteurs arrêtés péricliter. Or, toute l’économie est liée dans ces zones agricoles, souvent pauvres, à la présence des centrales : des emplois en passant par les subventions généreuses pour les municipalités qui accueillaient les installations. « Un tiers des emplois dépendent directement ou indirectement des centrales et les deux autres tiers dépendent de l’activité qui en découle parce qu’ils travaillent dans des hôtels ou des restaurants qui accueillent les travailleurs saisonniers », souligne Reiko Hasegawa, de l’Iddri. Dans ces zones ; le chômage est aujourd’hui rare et les salaires élevés. De quoi peser dans la balance ? Sans doute. Norichika Kanie, spécialiste de la gouvernance environnementale au l’Institut de technologie de Tokyo, conclut : « Si l’on parle en nombre de personnes, c’est la volonté d’en finir avec le nucléaire qui l’emporte. Si l’on parle en terme d’argent, c’est la poursuite du nucléaire. »
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