Christophe Lamoure est professeur de philosophie.
Rousseau, Kant, Nietzsche : tous ces philosophes étaient de grands marcheurs. Pourquoi marche et philosophie vont-elles si bien ensemble ?
La philosophie est une réflexion sur l’être humain et ses activités les plus simples. Or, l’être humain marche. Et on se rend compte que ce fait, qui pourrait être considéré comme tellement simple qu’il n’appelle aucune réflexion, est fondamental. Dans le développement d’un enfant, l’étape de la marche est décisive dans son « hominisation ». La marche a d’ailleurs influencé l’ensemble de l’histoire humaine : elle a permis au cerveau de se développer et à la main de devenir autonome.
Mais pourquoi la marche serait-elle favorable à la pensée ?
Parce qu’on pense avec son corps. La pensée n’est pas séparée du corps. La marche impose un rythme relativement lent, qui dispose l’esprit à rêvasser.
On pourrait dire, au contraire, que la marche fatigue et que l’effort vide la tête…
C’est pour ça qu’une marche féconde pour l’esprit est une flânerie, une marche gratuite, où l’on est disponible et où l’on ne se fait pas violence. Dans ce cas-là, « ça pense en vous » de manière consciente et active, ou de façon plus clandestine : vous marchez sans penser à quelque chose de précis, mais des nœuds se défont en vous. Après la marche, cela vous permet une réflexion plus aérée, voire de reprendre pied, dans des cas où vous ne saviez plus où donner de la tête.« Reprendre pied », « avoir les pieds sur terre » : beaucoup d’expressions reprennent ce rapport entre le corps et le sol…
La langue courante contient effectivement cette sagesse et donne des indices sur les conditions à remplir pour que l’être humain soit, non pas forcément heureux, mais au moins ami avec lui-même. La marche m’aide à devenir l’ami de ce corps que je suis.
Nombre de personnes disent qu’elles se « retrouvent » grâce à la marche.
Dans la marche, on retrouve son corps et des sensations élémentaires liées à l’activité physique, comme l’effort, la fatigue, la dépense… Toutes ces dimensions sont précieuses pour savoir qui on est. Nous sommes dans une société où le corps est affirmé comme une valeur importante : on en prend soin, on l’esthétise, on l’entretient. Pourtant, nous avons un mode de vie de plus en plus immobile et sédentaire où nous faisons, somme toute, relativement peu l’expérience simple de ce que c’est que d’avoir un corps. La marche vagabonde a un caractère désintéressé et marginal qui s’oppose à notre société.
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