C’est un vieux mythe américain : aux Etats-Unis, tout est possible. Vous gagnez moins de 2 000 dollars par mois mais cette maison à 500 000 dollars vous fait rêver ? Alors, elle est à vous ! Pendant quelques folles années, les publicités télévisées n’ont cessé d’inciter les Américains à acheter ces pavillons rutilants avec jardin qu’on aperçoit dans les séries de TF1 ou de M6. Car devenir propriétaire, c’est s’assurer un statut social. Et posséder une maison, c’est aussi pouvoir l’hypothéquer, afin d’obtenir de nouveaux crédits, pour s’acheter une voiture, équiper sa cuisine, etc. De nombreux foyers modestes se sont donc endettés pour s’offrir le style de vie de leurs rêves. Leurs revenus mensuels ne leur permettaient pas d’emprunter au taux le plus avantageux (le « prime rate »), réservé aux ménages les plus solvables. Mais ils ont pu bénéficier des crédits « subprime », accordés plus facilement en contrepartie d’un taux d’intérêt plus élevé. Il fallait bien que le prêteur gagne à prendre le risque de ne pas être remboursé.
Nitroglycérine
Pendant des années, le système a donné satisfaction. Naturellement, de nombreux emprunteurs se sont retrouvés face à des mensualités bien trop lourdes pour eux. Mais les prix de l’immobilier grimpant en flèche, la valeur de leur maison s’arrondissait et ils pouvaient ainsi « refinancer leur crédit » : par exemple, transformer la plus-value prise par leur demeure en réserve d’emprunt. « A manipuler avec soin. » Voilà ce qu’il aurait fallu inscrire sur les contrats des crédits « subprime ». Car ils cachaient de la nitroglycérine : des taux d’intérêt variables (sauf pour les premiers versements, destinés à attraper le chaland).Ces taux fluctuent en fonction du taux directeur défini par la banque centrale américaine, la Fed. Or, celui-ci est passé de 1 % en juin 2004 à 5,25 % en juin 2006. Les versements mensuels des ménages américains ayant un emprunt « subprime » à rembourser en ont été affectés en proportion. Une mauvaise nouvelle ne venant, paraît-il, jamais seule, « la situation sur le marché du travail américain s’est dégradée, explique Jean- Marc Figuet, professeur de sciences économiques à l’université Montesquieu-Bordeaux-IV. De nombreuses entreprises, notamment dans le secteur industriel, ont procédé à des licenciements, qui ont essentiellement concerné les ménages les plus pauvres qui sont devenus incapables de rembourser leurs crédits hypothécaires ». La hausse des taux d’intérêt et la conjoncture économique maussade ont mis un frein à la grimpette des prix de l’immobilier dès novembre 2005. La valeur des maisons a commencé à s’effriter à partir d’août 2006.
Témoignant dans le quotidien San Francisco Chronicle l’été dernier, Johnny Pitts, un chauffeur de bus, racontait qu’en deux ans la valeur de son pavillon était tombée de 430 000 à 330 000 dollars. Etouffés par leurs mensualités, ne pouvant plus refinancer leur crédit, de nombreux Américains ont donc dû quitter leur maison et restent endettés. Sur les dix premiers mois de 2007, près de 1,8 million de ménages ont été expulsés, selon les chiffres du spécialiste de l’immobilier RealtyTrac. Quant aux organismes de crédit, la revente des maisons ne leur a pas procuré suffisamment de liquidités pour se refaire. D’où des faillites en série, qui ont fini par retomber sur les grandes banques américaines, poussant les patrons de Citigroup – groupe bancaire méconnu en France, mais pourtant n°1 mondial – et de Merrill Lynch vers la sortie.
Contrairement aux nuages radioactifs, les crises financières ne s’arrêtent pas aux frontières. Celle des « subprimes » a donc atteint les places boursières européennes, entre autres. Comment ? Petite explication : lorsqu’une banque prête de l’argent à un client, on dit qu’elle détient une créance. Il s’agit d’un droit à percevoir le remboursement progressif de la somme ainsi que des intérêts. Or les banques qui avaient accordé des crédits « subprime » ont transformé ces créances en titres négociables en Bourse. D’une certaine manière, ce sont donc des investisseurs qui sont devenus les créanciers des ménages américains. Or ces investisseurs pouvaient venir de n’importe où. Parmi eux, des banques allemandes, anglaises, et même BNPParibas, le Crédit agricole et la Société Générale.
“ Beaucoup d’argent sur les marchés ”
Pourquoi ces habitués des marchés financiers n’ont-ils rien anticipé ? « C’est le même phénomène dans toutes les crises financières, analyse Jean-Marc Figuet. Après coup, on peut toujours dire qu’il y avait une bonne explication à l’effondrement et qu’on aurait dû le voir venir. Mais il y a toujours une sous-évaluation du risque. Avec les bénéfices réalisés par certaines grandes entreprises et les revenus liés au pétrole, il y avait beaucoup d’argent sur les marchés. Il fallait bien lui trouver des placements. » Difficile de chiffrer le coût de la crise. D’autant plus qu’elle n’est pas terminée. Alors que plusieurs banques situaient la facture autour de 400 à 500 milliards de dollars, l’américaine Goldman Sachs est allée jusqu’à chiffrer les pertes à 2 000 milliards de dollars dans le monde.Quoi qu’il en soit, la crise va évidemment peser sur cet important moteur mondial qu’est la croissance américaine. L’association des maires des Etats-Unis estimait, dans un rapport paru fin novembre, que le PIB américain allait être affecté à hauteur de 166 milliards de dollars en 2008. Et que 1,4 million de ménages supplémentaires devraient quitter leur logement. Une situation qualifiée de « sérieux défi national » par George Bush, longtemps réticent à intervenir sur ce sujet. Le secrétaire au Trésor, Henry Paulson, a discuté avec plusieurs établissements de crédit immobilier d’un gel temporaire – quelques années – des taux variables des « subprimes ». Mais sur une base « volontaire » des banques. —
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