Entre les rubans de panneaux photovoltaïques qui épousent les courbes du terrain de Pierrefonds, au sud de la Réunion, Marie-Rose Séverin cueille d’énormes brassées de citronnelle. L’agricultrice rayonne : les 25 000 touffes d’herbe aux effluves acidulés ont profité du soleil tropical ; tout comme les 35 000 plants de géranium Bourbon. La récolte est ensuite acheminée quelques kilomètres plus haut, dans une coopérative. Là, dans un alambic qui sent bon la tradition, les plantes sont distillées et transformées en huile essentielle. Les flacons seront vendus aux touristes ou exportés en métropole.
Cheveux blonds flottant au gré des alizés, Marie-Rose s’enthousiasme : « On va sauver notre patrimoine. » La « cuite de géranium » a en effet presque disparu de l’île. Sur cet oasis montagneux et volcanique, les terres exploitables sont rares et donc hors de prix. Et la canne à sucre, subventionnée par l’Europe, plus rentable que les plantes odoriférantes, vampirise les surfaces disponibles.
Ile tartinée
Marie-Rose a pu se lancer, fin 2009, grâce à l’appui « inespéré » et à l’idée d’Akuo Energy, une PME française qui produit de l’électricité éolienne et photovoltaïque dans une dizaine de pays. L’agricultrice occupe à titre gracieux les quatre hectares du terrain de Pierrefonds, sur lequel Akuo a installé 21 000 panneaux solaires. Si la PME n’avait pas fait de la place aux plantations, 30 000 panneaux auraient pu être posés, soit une puissance de 3 mégawatts d’électricité au lieu des 2,1 actuels.Pourquoi ce « sacrifice » de la part d’Akuo ? C’est en fait le lobby agricole de la Réunion qui l’a imposé. Le vice-président de la chambre d’agriculture, Jean-Bernard Gonthier, l’assume sans détour : « On est contre le photovoltaïque au sol, qui nous prend les bonnes terres. » Au ministère de l’Agriculture, Jean-Luc Bernard-Colombat, directeur délégué de la Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt, dénonce lui aussi « les fermes solaires qui tartinent l’île de panneaux sans s’occuper de ce qu’il y a dessous ».
Eric Scotto, le président d’Akuo, qui s’est reconverti dans les énergies renouvelables après avoir fait fortune dans l’informatique, a donc dû innover. Cet autodidacte de 43 ans a imaginé le concept d’« agrinergie ». « C’est une cohabitation gagnant-gagnant. Grâce à nos investissements, l’agriculteur, d’un coté, dispose d’un outil de travail performant. Et de l’autre, on nous autorise à utiliser des terrains pour développer notre activité », détaille ce précurseur, dont la ferme solaire de Pierrefonds a été inaugurée l’an dernier par le président Nicolas Sarkozy.
Menace sur les prix
En janvier, Akuo a poussé plus loin le concept en mettant en service la première exploitation sous serres solaires de l’île, d’une puissance d’un mégawatt, sur la commune du Tampon. Les panneaux photovoltaïques, surélevés, laissent entièrement libre la surface au sol, où fleurissent 350 000 lys et 45 000 anthuriums. La toiture, qui alterne cellules solaires et tôles ondulées translucides, assure une protection contre les cyclones, la chaleur et les fortes pluies. « Grâce aux serres, j’aurai une production étale sur l’année, sans mauvaise surprise », se réjouit Jean-Louis Payet, solide gaillard à la voix posée. L’horticulteur a mis 15 000 m2 à disposition d’Akuo, qui, en contrepartie, a investi 6,7 millions d’euros dans la pose de la structure métallique.
Il serait beaucoup plus rentable pour Akuo d’installer un maximum de panneaux sur la plus petite surface possible, à même le sol. Pourtant, malgré un surcoût de 50 %, la PME s’y retrouve. « Notre retour sur investissement se fera sur douze ans, détaille Eric Scotto. On espère réaliser des profits dans six à huit ans. » La société va d’ailleurs exploiter trois nouvelles fermes solaires sous serres à la Réunion. Celles-ci produiront 4,8 mégawatts et permettront à des agriculteurs de cultiver des légumes et des fruits bio, des pitayas notamment.
Mais ce projet a été établi en 2007, quand le prix de vente du kilowattheure à EDF s’élevait à 60 centimes. Depuis, le gouvernement l’a revu à la baisse plusieurs fois. Et le manque à gagner menace un autre projet d’Akuo, plus original encore : la couverture d’une prison de l’île par 31 000 panneaux photovoltaïques. La pose et la maintenance devaient être en partie assurés par une trentaine de détenus. —
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