Sur le point d’engloutir vos pâtes bolo, avez-vous la moindre idée, dans le détail, des substances que vous vous apprêtez à ingurgiter ? Des nutriments évidemment, des additifs le plus souvent et... des hydrocarbures probablement. A l’automne, l’ONG Foodwatch a lancé une campagne contre la présence d’huiles minérales dans les aliments secs conditionnés à l’aide d’emballages en carton. Entre les pâtes, le riz, le couscous, les corn flakes, difficile d’y échapper...
Pour surmonter cette impuissance, l’association de défense des consommateurs s’est donné pour mission de faire émerger une prise de conscience, d’interpeller les marques et in fine de faire évoluer la réglementation. Présente en France depuis deux ans, l’ONG a déjà fait plier l’enseigne E. Leclerc et la marque de yaourts Vrai. Le succès de ses actions, notamment de pétitions récoltant plus de 100 000 signatures, est révélateur d’un désir des citoyens de reprendre la main sur leur alimentation. Karine Jacquemart, directrice de Foodwatch France nous explique ce mouvement de fond.
Terra eco : Des produits alimentaires contaminés par des hydrocarbures, est-ce un nouveau scandale agroalimentaire ?
Karine Jacquemart : Nouveau, pas tout à fait. Nous étions au courant de l’existence d’une contamination. Nous connaissions ses sources, notamment les emballages dont les encres et solvants migrent du contenant vers l’aliment. En 2011 déjà, UFC Que choisir avait consacré un dossier au sujet. Mais depuis, rien n’a été fait. Nous voulions donc remettre le sujet sur la table. Un test réalisé par Foodwatch sur 42 produits achetés en France a révélé la présence d’hydrocarbures, les huiles minérales aromatiques, dans 60% d’entre eux. Ces huiles minérales, qu’on appelle les Moah, sont suspectées d’être cancérigènes, de provoquer des mutations génétiques et des perturbations hormonales. Pourtant, à ce jour, les consommateurs n’ont aucun moyen de déceler leur présence.
Est -ce révélateur de notre ignorance vis-à-vis de ce que nous mangeons ?
En matière d’alimentation, le manque de transparence est criant. Lorsque la répression des fraudes effectue un contrôle, s’il y a condamnation, le grand public n’aura jamais la moindre information sur la nature de la fraude ou le nom de la marque poursuivie. Sans aller jusque là, il suffit d’examiner les emballages pour constater l’opacité : les indications souvent inscrites en tout petit ne reflètent pas le contenu. Le consommateur n’a par exemple aucun moyen de savoir si les animaux ont été nourris aux OGM. Il ne connaît pas non plus l’origine de la viande dès lors qu’elle entre dans la composition d’aliments transformés. Souvent les étiquettes induisent en erreur. La dinde Leclerc étiquetée 100% filet contenait en fait 16% d’eau, de gélifiants, de colorants et autres additifs. Dans les rayons, c’est le règne de la désinformation : on peut parfaitement inscrire sur l’emballage une histoire qui ne correspond pas à la composition du produit. Ces pratiques abusives ne sont pas sanctionnées.Elles sont donc légales ?
Oui, au regard de la loi française, elles sont légales. Elles ne sont pas légitimes pour autant. Pour mettre un terme à ces pratiques, seules des dispositions légales garantissant la transparence de l’information pourront être efficaces.En quoi est-ce un enjeu de santé publique ?
Une récente étude de la Fondation suisse « Food Packaging forum », relayée par le Réseau Environnement santé (RES), montre que les additifs alimentaires et les matériaux à usage alimentaire peuvent contenir 175 substances chimiques préoccupantes dont 119 perturbateurs endocriniens. L’OMS parle d’une épidémie de maladies chroniques : diabète, obésité, cancers... Je ne peux pas croire que les deux phénomènes ne sont pas liés. Si les gens étaient au courant, s’ils connaissaient les risques que l’alimentation agro-industrielle fait peser sur leur santé, leurs choix seraient sans doutes différents. Mais sans informations dignes de ce nom, les consommateurs ne vont pas dire « ça doit changer ». Les marques leur renvoient la responsabilité, leur reprochent de ne pas savoir lire les étiquettes. C’est un peu comme si, pour lutter contre les faux billets on s’en prenait aux utilisateurs bernés plutôt qu’aux faux-monnayeurs.Comment expliquer une telle situation ?
L’industrie agroalimentaire bénéficie d’une grande impunité. Ce secteur est marqué par la toute-puissance des lobbies dont l’action incite les autorités à l’inertie. Au niveau européen, ceux-ci bloquent la simple définition des perturbateurs endocriniens. Concernant les huiles minérales, on sait que des solutions existent : il est tout à fait possible pour les fabricants de mettre des barrières dans les emballages pour empêcher ces substances de migrer. Mais en France, rien n’a bougé depuis 2011. En Allemagne au contraire, les autorités s’apprêtent à légiférer, les acteurs industriels ont anticipé et la contamination recule. Si l’Etat français envoyait le même signal, le secteur se mettrait en ordre de bataille. Mais le système agroalimentaire impose ses règles sans que les citoyens aient vraiment leur mot à dire. Il est urgent que les pouvoirs publics s’emparent de ces sujets.Si l’on pense aux AMAP, à l’essor des circuits-courts, au succès du bio, on voit pourtant que des alternatives émergent...
Oui avec la crise de la vache folle et les scandales alimentaires qui se sont succédé depuis, les consommateurs ont découvert dans l’agro-industrie un concentré de dérives et d’excès. Ces scandales ont agi comme des révélateurs et ont encouragé les gens à agir, à s’interroger sur la manière dont ils se nourrissaient. Mais au-delà de l’action individuelle, nous sommes convaincus qu’il faut infléchir le rapport de force de manière collective. Au moment de la crise de la vache folle, Thilo Bode, ancien directeur international de Greenpeace, s’est rendu compte qu’il n’y avait pas d’organisation indépendante de la société civile pour défendre les droits des consommateurs dans le domaine de l’alimentation. C’est ainsi que Foodwatch est né en Allemagne en 2002, avant de s’implanter en France il y a deux ans.Quelle est la stratégie de votre association pour changer les règles du jeu ?
Foodwatch joue un double rôle pour la transparence et le droit à une alimentation saine. Dans un premier temps, celui de lanceur d’alerte. Cela passe par un travail de veille, le lancement de recherches indépendantes, afin de révéler des scandales. En ciblant précisément les marques, on entend exposer les responsabilités. L’objectif est de créer un espace de débat. Une fois informés, les gens ont envie de se mobiliser pour faire changer les choses. On mène alors des campagnes d’influence, avec eux, et on leur propose des outils, par exemple des pétitions. Ces campagnes sont accompagnées d’un travail d’influence au niveau politique, pour obtenir des évolutions de la réglementation, en France et au niveau européen, car c’est à cette échelle que sont prises 90% des décisions qui touchent à l’alimentation.
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