|Un énième plan de rigueur a entraîné la démission de plusieurs députés et un regain de violences en Grèce ce dimanche 12 et lundi 13 février. Le besoin d’une alternative à l’austérité est plus pressant que jamais. L’occasion de relire l’interview d’Alexandre Delaigue sur l’utilité d’une annulation de la dette grecque.|
Terra eco : Le documentaire « Debtocracy » cite de nombreux exemples d’Etats qui ont refusé de payer leur dette. Est-ce vraiment aisé d’annuler ses créances pour un Etat ?
Alexandre Delaigue : Si vous ou votre entreprise ne payez pas votre dette, vos biens seront saisis. Par contre, un Etat a, lui, le droit d’annoncer un défaut à ses créanciers. C’est un privilège aussi vieux que les gouvernements. Alors pourquoi les Etats remboursent-ils leurs dettes ? La question a beaucoup été étudiée par la théorie économique. La réponse est simple : pour pouvoir s’endetter encore !En effet, les créanciers, après un défaut, risquent de refuser de prêter ou vont prêter à taux très élevé aux Etats. Les gouvernements se demandent donc s’il est plus rentable d’annuler leur dette actuelle mais de ne plus pouvoir recevoir de prêt ensuite, ou bien de continuer à rembourser la dette et de pouvoir emprunter encore. C’est un calcul assez simple et l’option la plus rentable est très souvent la seconde, car les Etats ont presque toujours besoin d’emprunter. Dans l’Histoire, les annulations de dette ont eu lieu quand la première option était plus rentable, ce qui est rare.
Le documentaire montre le cas de l’Equateur, où une Commission d’audit intégral du crédit a été mise en place pour annuler les dettes odieuses. Il semble que le calcul n’était pas seulement économique à l’époque.
Ce n’est pas comme ça que cela s’est passé. En réalité, le Président Rafael Correa a décidé d’annuler la lourde dette du pays dès son arrivée au pouvoir, justement parce que c’était économiquement intéressant. Le pays était très endetté et prenait peu de risques en ne remboursant pas. En effet, il disposait de beaucoup de liquidités grâce à ses ressources pétrolières, et avait donc peu de besoin d’emprunt. Par ailleurs il avait l’assurance d’avoir des prêts de certains voisins grâce à leur proximité politique. La Commission sur la dette n’a donc fait que valider une décision déjà prise. On est dans de l’habillage politique, pour légitimer une décision économique.
L’annulation de la dette serait-elle une bonne solution pour la Grèce ?
Le documentaire pose la question en terme moral. Mais la vraie question c’est : est-ce que la Grèce a intérêt, économiquement, à faire défaut ? Et la réponse est non.La Grèce souffre d’un déficit primaire. Cela veut dire que son budget est dans le rouge même si l’on ne tient pas compte du remboursement de la dette. Ce déficit primaire est très élevé : il dépasse les 6%. Donc si elle cessait demain de rembourser sa dette, elle serait très rapidement à court de liquidités parce que ses dépenses excèdent largement ses recettes. Aucun créancier ne voudrait lui prêter de l’argent, à cause de son défaut, donc elle devrait aller encore plus loin dans l’austérité, en augmentant les impôts ou en procédant à de vastes coupes budgétaires. Si la Grèce annulait sa dette, ce serait la panique, avec un coût trop élevé pour le pays.
Quelle serait alors, selon vous, la solution pour la Grèce ?
La solution aurait été de laisser la Grèce se faire aider par le FMI (Fonds monétaire international). Après ses plans catastrophiques, notamment en Argentine, le FMI a changé. Il aurait mené une politique de réduction des dépenses lente en maintenant une perfusion importante. Mais les dirigeants européens ont voulu s’en charger, en partie parce que Nicolas Sarkozy ne voulait pas laisser le mérite du sauvetage d’un pays européen à Dominique Strauss-Kahn - alors directeur général du FMI.Le tour de vis imposé à la Grèce est inédit dans l’histoire, il est extrêmement rapide et a des conséquences dramatiques. La Grèce n’aurait jamais autant souffert avec une aide du FMI. Et la contagion au reste de la zone euro n’aurait pas été aussi rapide. Enfin, le fonds aurait laissé la Grèce négocier une décote avec ses créanciers alors qu’aujourd’hui l’Europe négocie cela directement avec les banques. De même, il y a un membre de l’UE derrière chaque ministre grec. Ce sont des dénis de démocratie très graves.
Le documentaire diagnostique la crise grecque comme la conséquence d’une erreur de construction de la zone euro. Qu’en pensez-vous ?
Le début du commentaire, qui dresse le diagnostic des origines de la crise et les attribue à l’organisation de la zone euro est de loin le plus juste et le plus pertinent. Le vrai problème de la Grèce, c’est que la zone euro marche mal parce qu’elle est organisée avec une parité fixe et des mouvements violents de capitaux. La Grèce vit la même situation que la Thaïlande dans les années 1990. Il faudrait comparer les discours de l’époque à ceux d’aujourd’hui sur la Grèce mais il sont très proches.On disait d’elle que c’était un futur dragon, elle a été tirée par sa politique monétaire et il y a eu un afflux de capitaux brusque vers le pays. Puis, violemment, ses capitaux sont repartis notamment à cause de la concurrence des pays voisins. Le pays s’est enfoncé dans la crise et on a accusé son indolence et sa corruption. Alors que le vrai problème est monétaire. C’est complexe, et moins attirant qu’un complot, mais c’est très intéressant sur notre vision politique et les leçons que l’on ne tire (pas) du passé.
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