Applaudissements, tintamarre, ola générale. Après les biberons en 2011, le bisphénol A (BPA) n’a, depuis le 1er janvier, plus droit de cité dans nos boîtes de conserve, gobelets plastiques et autres contenants alimentaires. C’est une réglementation du 24 décembre 2012 qui le dit : celle-ci « suspend la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux de tout conditionnement, contenant ou ustensile comportant du bisphénol A et destiné à entrer en contact direct avec toutes les durées alimentaires. » « C’est une première mesure importante. Nous sommes le premier pays au monde à prendre cette décision », souligne André Cicolella, président du Réseau environnement santé (RES).
En goguette dans les rayons du supermarché, nous voilà rassurés. Ainsi, l’on peut saisir aveuglément haricots en boîte, petits pots pour bambins, boîtes en plastique sans craindre l’exposition à cette substance fortement soupçonnée d’être un perturbateur endocrinien, c’est-à-dire un agent qui brouille – en imitant ou en inhibant – l’action de nos hormones.
Une loi quasi impossible à appliquer
Vrai ? Pas si sûr. Pour une raison simple, c’est qu’à l’intérieur des frontières de l’Union européenne règne le sacro-saint principe de la libre circulation des marchandises. Impossible donc à première vue de bloquer des produits teintés de BPA aux frontières de la France. Difficile aussi de punir les éventuels contrevenants d’ici. « Je vois mal comment le gouvernement pourrait imposer des sanctions sur des industriels français qui continueraient à commercialiser des produits avec du bisphénol A », décrypte Gérard Bapt, député socialiste et rapporteur de la proposition de loi à l’origine de la réglementation de 2012.
Seul un signe de Bruxelles pourrait, semble-t-il, débloquer la situation. « Pour les biberons, l’Union européenne avait étendu l’interdiction française en quelques mois. Là, ça risque de n’être pas aussi rapide », prédit André Cicolella. Les autorités européennes attendent encore, pour se prononcer, les conclusions de leurs experts de l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) qui doivent rendre public, fin janvier, un avis sur les risques pour la santé du BPA. Pour le moment, ils « ont conclu provisoirement que, pour tous les groupes de population, l’alimentation était la principale source d’exposition au BPA et que l’exposition était plus faible que précédemment estimée par l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) » (voir ici). Aussi, les professionnels ne s’inquiètent-ils pas : « Je suppose que l’avis ne sera pas très différent des conclusions provisoires données au mois de janvier et qui ont confirmé que l’exposition aux risques en Europe ne nécessite pas l’interdiction », assure Michel Loubry, directeur général de Plastics Europe, le syndicat des fabricants de plastique, pour la région Europe de l’Ouest.
A la quête du bisphénol A
Mais revenons à nos moutons. En attendant, dans les rayons, pas le choix : il faut continuer de scruter les étiquettes pour repérer le bisphénol A. Mais est-ce seulement possible ? En 2010, nous avions déjà tenté l’exercice, sans grand succès. Nous revoilà plongés dans les rayons. L’étiquetage s’est-il amélioré ? Non. La mention du bisphénol A n’est toujours pas obligatoire. « Aucune date n’est à ce jour prévue pour la publication d’un décret d’avertissement. Celui-ci a été notifié à la Commission européenne et est toujours en cours d’évaluation », explique par mail la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Le panier à la main, nous sommes donc réduits à utiliser les mêmes outils qu’il y a quatre ans et demi. En clair : il nous faut repérer le chiffre 7 entouré d’un triangle et désignant « les autres plastiques », parmi lesquels le vilain polycarbonate mêlé de bisphénol A (lorsqu’il est accompagné des lettres « PC », le doute n’est plus permis) (voir les codes d’identification des résines)
Mais là non plus, le marquage – destiné à faciliter le tri et le recyclage – n’est pas obligatoire. D’ailleurs, on a beau retourner pots de yaourts et vaisselle de pique-nique, rien n’est indiqué. Sur les bouteilles de lait ou d’eau minérale en revanche, on trouve le chiffre 2 entouré d’un triangle et accompagné des lettres PEHD (pour « polyéthylène de haute densité ») ou le 1 et les lettres PET (pour « polyétéréphtalate d’éthylène »). Mais nulle trace de polycarbonate, et donc de BPA. « Le polycarbonate est un matériau fortement utilisé dans les secteurs du bâtiment et de l’automobile. Mais peu pour les emballages et les conditionnements, rassure Michel Loudry. Pour les bouteilles en plastique, par exemple, c’est un matériau trop cher. Le PET, c’est 1 000 euros la tonne, le PC, c’est 4 000 euros ! Dans les films étirables, c’est un mythe, il n’y en a jamais eu. On a affaire à du PVC. La seule véritable application, c’est les bonbonnes des fontaines à eau. Mais à température froide, la migration du BPA dans le liquide est quasi nulle », assure-t-il. Et l’homme de renvoyer plutôt l’attention sur les conserves et les canettes, recouvertes, sur leur face interne, d’un film de résine époxy chargé d’allonger la durée de conservation des aliments contenus.
De bien faibles outils
Si la conserve a été fabriquée en France en 2015, elle n’a aucune chance de contenir du BPA, assure le Syndicat national des fabricants de boîtes, emballages et bouchages métalliques (SNFBM). « Il n’y a plus de canettes ou de boîtes de conserve avec de la résine époxy commercialisées (par les fabricants, ndlr) en France ou destinées à l’exportation », assure Olivier Draullette, son délégué général. Reste les quelques stocks que l’agroalimentaire a encore le droit d’exploiter jusqu’à épuisement : « Mais il n’y en a pas beaucoup, on essaye de produire à la demande », précise Olivier Draullette. Le souci surtout, c’est que les boîtes de nos rayons ne sont pas toutes françaises, loin de là, et que rien ne permet de repérer leur origine. Certes, en principe, les boîtes étrangères qui pénètrent en France doivent respecter la nouvelle réglementation. Mais est-ce que c’est déjà le cas ? Olivier Draullette l’espère bien. Sinon, « pour nous, ce serait la fin des haricots », assure l’homme qui rappelle l’effort important fourni par les industriels français pour trouver des alternatives : « On demandera des contrôles. »
En attendant que faire pour repérer le BPA dans les conserves ? En 2013, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) donnait bien une méthode… assez peu précise : « Les conserves en verre ne contiennent généralement pas de bisphénol A (à l’exception possible du vernis présent sur le bouchon) ». Pour les boîtes métalliques, si les canettes n’en sont « a priori » pas dotées, dans « les boîtes composées de « 3 pièces », un corps et 2 éléments sertis (fond et couvercle) (…), la présence de bisphénol A est possible et d’autant plus probable que l’aliment concerné est acide ». Allez vous débrouiller avec ça ! En 2013, l’Anses résumait ça très bien sur son site Internet : « Il est très difficile en l’absence de mentions d’étiquetage précises sur les contenants d’être sûr de l’absence de bisphénol A. » On confirme.
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