Ce 5 janvier, le verdict est tombé : la campagne d’EDF est, en grande partie, « de nature à induire le public en erreur sur la réalité écologique des actions de l’annonceur ». Dans un avis publié sur son site, le Jury de déontologie publicitaire a estimé que la plainte déposée par le Réseau sortir du nucléaire le 23 septembre dernier est « partiellement fondée ». « Le fait d’être partenaire de la COP21 ne suffit pas nécessairement à se présenter légitimement comme “partenaire d’un monde bas carbone” », notent les membres du jury. Cet avis est le troisième émis à l’encontre d’EDF depuis juillet dernier. En décembre, l’énergéticien a reçu le prix Pinocchio du climat décerné par les Amis de la Terre. |
Quand vous exploitez 16 centrales à charbon à travers le monde, le simple fait de participer au financement d’une conférence internationale sur le climat, fut-elle décisive, ne fait pas de vous « le partenaire d’un monde bas carbone ». Dans un avis rendu le 14 octobre, le jury de déontologie publicitaire a estimé que le slogan d’EDF était « susceptible d’induire le public en erreur sur la réalité écologique des actions de l’annonceur ». La plainte déposée par l’ONG France Nature Environnement (FNE) contre une campagne diffusée dans Les Echos est donc « partiellement fondée ».
Pour le Réseau sortir du Nucléaire, « cet avis est bienvenu car il met le holà à un greenwashing caricatural ». Cette deuxième ONG se sent particulièrement concernée : elle aussi a déposé plainte contre l’énergéticien devant la même instance. Cette fois, l’affirmation dans le viseur concerne la France et ses « 98% d’électricité produite sans CO2 » si l’on en croit l’annonceur. Par « produite en France », entendez « produite majoritairement » (à 85%) par des réacteurs nucléaires.
Un impact moindre mais pas nul
Le nucléaire serait dont la solution pour une électricité sans émissions ? C’est vrai si l’on s’en tient au pur processus de production énergétique : la réaction de fission nucléaire. « C’est un mensonge si l’on regarde l’ensemble du cycle de vie : l’extraction d’uranium, son transport, la construction des centrales, la gestion des déchets, le démantèlement », estime Charlotte Mijeon du Réseau sortir du nucléaire. Un rapport publié ce mardi 27 octobre par l’agence Wise, connue pour sa méfiance vis-à-vis de l’atome, précise que si l’on réintègre l’ensemble de ces étapes dans le calcul, la production d’électricité nucléaire émet 66 grammes de CO2 par équivalent kilowattheure. Chez EDF, on évoque plutôt « 12 grammes ». Quel que soit le chiffre retenu, le bilan est très inférieur à celui du charbon (1000 gCO2éq/Kwh), du pétrole (800 gCO2éq/kWh) ou du gaz (600 gCO2éq/Kwh), et très proche de celui des énergies renouvelables : l’éolien émet 14 gCO2éq/kWh, le solaire environ 100 gCO2éq/Kwh.
Un impact mince mais pas nul : l’électricité produite en France ne peut donc pas être à « 98% sans CO2 ». Interrogé, EDF reconnaît un chiffre calculé « hors analyse du cycle de vie ». Avant même que le JDP se prononce sur cette plainte, un astérisque est apparu sur le site de l’énergéticien précisant qu’il s’agit là des « émissions directes ».
Une fausse solution ?
A défaut d’être totalement décarboné, le nucléaire peut-il au moins être « le partenaire d’un monde bas carbone » ? C’est ce que suggère l’énergéticien quand il rappelle à longueur de campagnes qu’il « émet dix fois mois en moyenne » que ses collègues européens. Un bon bilan qu’il « doit à son mix de production électrique » composé, on le rappelle, à 85% de nucléaire.
C’est aussi ce qu’affirme plus frontalement son PDG, Jean-Bernard Lévy qui affirmait le 18 octobre sur iTélé que sans son parc nucléaire la France « émettrait quinze fois plus de CO2 ». Un chiffre qui ne résiste pas aux comparaisons européennes. En Italie pays qui a décidé de se passer du nucléaire, un habitant émet 6,7 tonnes de CO2 par an, selon les chiffres de la banque mondiale, contre 5,2 tonnes par Français et par an. On est très loin d’un facteur quinze.
Du côté des ONG – les Amis de la Terre, Sortir du Nucléaire, France Nature environnement, le Réseau Action climat et la fondation Heinrich Böll – on répond catégoriquement non : le nucléaire est une « fausse solution ». Les travaux de l’agence Wise, réalisés à leur demande, confirment cette position. D’abord on ne peut pas compter sur l’atome pour répondre rapidement à nos besoins d’énergie bas carbone. A l’échelle mondiale, le nucléaire ne représente que 2% de la consommation finale d’énergie. Les auteurs estiment qu’il faudrait donc « multiplier par dix le nombre de réacteurs », pour couvrir seulement un quart des besoins énergétiques de l’humanité. Or le temps nécessaire à la construction de 4000 réacteurs est peu compatible avec l’urgence de la lutte contre le dérèglement climatique…
Un rôle « surévalué »
Ensuite, même lorsque les capacités de production nucléaire sont développées, leur rôle dans la réduction des émissions est « surévalué par l’industrie » selon Wise. Et pour cause le nucléaire ne remplace pas uniquement les énergies fossiles mais un mix électrique plus diversifié et donc potentiellement des énergies moins émettrices. D’autre part, il ne se substitue pas à la totalité des énergies fossiles puisqu’il ne produit que de l’électricité.
Ainsi les réacteurs américains ont beau générer 33 % de l’énergie nucléaire mondiale, les Etats-Unis n’en sont pas moins parmi les plus gros émetteurs de la planète. Quant à la France, « alors qu’elle ne cesse de se poser en modèle, le rapport Wise souligne que son développement massif du nucléaire ne l’empêche pas d’émettre quatre fois trop de gaz à effet de serre », rappelle Charlotte Mijeon. Selon le même rapport, « les émissions évitées par le nucléaire atteignent aujourd’hui en réalité 1,5 milliard de tonnes, soit un peu moins de 4% des émission de CO2 » Par le passé cette technologie a « tout au plus retardé de quelques années la croissance des émissions, mais n’en a jamais inversé la dynamique ».
Un obstacle à la transition énergétique
Pire encore, le nucléaire serait « un obstacle à la transition énergétique », car il freinerait la mise en place de mesures efficaces. Ainsi, Yves Marignac et Manon Besnard, les deux auteurs du rapport, expliquent que « par sa capacité installée, son fonctionnement aussi continu que possible, le nucléaire entre en contradiction avec la mise en place de solutions flexibles », c’est-à-dire avec l’essor du solaire, de l’éolien et autres énergies renouvelables dont la production est discontinue. De même, alors que le nucléaire requiert un réseau centralisé, les énergies renouvelables vouées à mailler le territoire nécessitent des infrastructures décentralisées.
Sans compter que cette énergie, qui suppose de produire beaucoup, tout le temps, est peu compatible avec une baisse de la consommation. Or en France les seules trajectoires examinées lors du débat sur la transition énergétique qui permettent de diviser par quatre nos émissions sont celles qui prévoient une réduction de moitié de notre consommation d’énergie soit des trajectoires « qui réduisent le plus voire éliminent le nucléaire », note le rapport.
Rendez-vous après la COP21
Interrogé sur l’avis du JDP, l’énergéticien retient surtout que la mention « partenaire d’un monde bas carbone » a été jugée « vague et floue ». EDF dit avoir « pris acte de l’avis du Jury » et indique que ses publicitaires planchent « sur la mise en place d’un renvoi vers un site internet extrêmement détaillé pour plus de clarté ». Cette ligne de défense est son plan B. Le plan A consistait à convaincre le JDP que le slogan ne constituait « ni une communication commerciale ni un message publicitaire mais un message visant à sensibiliser et mobiliser autour d’un enjeu qui participe de l’intérêt général ». L’argument a été rejeté. Quant à « la plainte sur les 98% d’électricité sans CO2 », le Jury de déontologie publicitaire ne l’a pas encore examinée. A la demande d’EDF l’audience a été repoussée du 6 novembre au 11 décembre, soit après la COP21. « C’est une pratique courante, précise le groupe il ne faut y voir aucun lien. »
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