- Sur les falaises de Bonifacio (Corse)
Inespéré : 2,5 millions d’euros, plus une 2 CV. Grâce à ce legs d’une vieille dame, dont le dernier voeu était de préserver la nature bretonne, le Conservatoire du littoral a pu récemment acheter l’île Ilur – 40 hectares et un hameau déserté dans le golfe du Morbihan. Une aubaine financière pour l’établissement public, qui ne dispose que de 25 millions d’euros par an (sur un budget de 45 millions) à consacrer à de tels investissements.
Et une sacrée veine, car les îlots privés du Morbihan changent peu de mains et sont scrutés à la longue vue par les plaisanciers fortunés. Or, depuis sa création en 1975, l’une des missions du conservatoire est justement de laisser « ouverts au public » les bords de mer ou de lac et d’en protéger les richesses naturelles menacées par le béton et la privatisation. Comment ? Ses dix délégations réparties sur tout le territoire surveillent les mises en vente et acquièrent le maximum de terrains aux petits comme aux gros propriétaires. Par exemple, 270 personnes se partageaient les 100 hectares de la pointe du Raz en Bretagne ; en revanche, il n’a fallu faire qu’un seul chèque aux Salins du Midi pour racheter 2 300 hectares en Camargue.
Plus de 117 000 hectares sont aujourd’hui inaliénables, « comme un musée achète des tableaux pour les soustraire au marché », explique Emmanuel Lopez, le directeur de l’établissement public. Dans son escarcelle, 1 000 kilomètres de rivages – dont quelques joyaux, comme l’île de Porquerolle ou les falaises de Bonifacio en Méditerranée –, soit environ 12 % du littoral français. Objectif : en protéger le tiers d’ici à 2050. Cette mission est capitale alors que les bords de mer attirent plus que jamais les foules : les départements du littoral devraient compter 3,4 millions d’habitants supplémentaires en 2030.
Oiseaux migrateurs, phoques et dunes Pas question toutefois de placer ce « tiers sauvage » sous verre ou à l’ombre de barbelés. Trente millions de personnes visitent chaque année les sites du conservatoire, qui transfère leur gestion aux collectivités. « Ces dernières comprennent de mieux en mieux l’intérêt touristique de posséder des espaces ouverts et pas totalement urbanisés », signale Anne Konitz, chargée de communication au conservatoire. En plus de lancer les touristes sur des sentiers botaniques, l’institution compte sur les communes pour réinstaller des agriculteurs et cultiver des variétés traditionnelles comme le blé noir. « Il est bien plus pertinent de maintenir l’agriculture, qui est une source de revenus et qui entretient les espaces, que de laisser ceux-ci libres. Chez nous, nous encourageons par exemple l’élevage de vaches écossaises à longs poils, bien adaptées aux prairies humides », explique Matthieu Delabie, responsable du parc ornithologique du Marquenterre, dans la baie de Somme. Cet écrin de biodiversité – oiseaux migrateurs en escale, phoques en balade dans la Manche, paysages dunaires – intéresse beaucoup le conservatoire.
Mais il a dû récemment renoncer à l’acquisition de 300 hectares jouxtant le Marquenterre, car ce terrain était vendu sous forme de parts de société civile immobilière (SCI). Or la loi interdit aux communes et aux établissements publics d’acheter des actions de SCI ou de faire jouer leur droit de préemption (1). Une gageure alors qu’environ la moitié des terres qu’il lorgne en France restent sous le régime des « ventes libres ». Beaucoup de propriétaires ont en effet compris que les SCI constituaient une belle voie d’eau dans le dispositif du conservatoire. Selon son directeur adjoint, Bernard Gérard, « les SCI, créées pour éviter la division de grands domaines, notamment en Méditerranée, appartiennent à des grands groupes ou des banques qui souhaitent construire. Mais un rapport récent du Conseil d’Etat propose d’expérimenter le droit de préemption sur les SCI pendant trois ans. Cette décision, favorable aux communes pour le logement, pourrait aussi s’appliquer à la protection de l’environnement. »
Des aides qui font tousser
Cependant, la hausse des prix du foncier inquiète les responsables du conservatoire. Si celui des terrains inconstructibles varie peu (70 centimes le m2), les prix des espaces bâtis ou constructibles continue de flamber : au moins 100 fois plus cher. L’intendance suivra-t-elle ? Jusqu’ici variable d’ajustement pour l’Etat lors des années de vaches maigres, son budget a enfin été pérennisé en 2007 par l’affectation de la taxe de francisation des bateaux de plaisance : 35,5 millions d’euros, auxquels s’ajoutent les aides des collectivités, des agences de l’eau et du mécénat. Le conservatoire table en effet de plus en plus sur l’aide des entreprises – « même si le soutien de Procter & Gamble ou Total fait parfois tousser en interne », souffle Anne Konitz. Et ses moyens humains restent limités (133 salariés). Emmanuel Lopez se dit néanmoins optimiste : « Si nous maintenons notre rythme actuel – 3 500 hectares achetés l’an dernier –, nous atteindrons notre objectif de 270 000 hectares en 2050. » L’important, c’est d’arriver. Même en 2 CV. —Qui « artificialise » le littoral ? « Le Conservatoire du littoral assure la défense active des côtes. La loi Littoral de 1986 prévoit leur défense passive », rappelle Anne Konitz, chargée de la communication du Conservatoire. Leur action conjuguée a sans doute limité la bétonnisation, mais elle ne l’a pas empêchée. Selon l’Institut français de l’environnement (Ifen), entre 1990 et 2000, trois fois plus de terres ont été « artificialisées » dans les communes littorales que dans le reste du pays. Cette évolution a surtout concerné la zone entre 500 m et 2 000 m de la côte.
La loi Littoral interdit toute construction à moins de 100 m du rivage ainsi que la création de routes à moins de 2 km du rivage, mais c’est encore trop pour certains. En juin 2008, un « collectif pour la loi littoral » manifestait près de Bonifacio (Corse) contre les constructions de villas et complexes immobiliers en dépit de permis de construire déclarés illégaux. Parmi leurs cibles, la maison du publicitaire Jacques Séguéla. Mais la multiplication des mobil-homes ou des campingcars est une « sous-urbanisation incontrôlable » qui alarme autant le conservatoire. Son directeur Emmanuel Lopez rappelle par ailleurs que l’élévation du niveau de la mer et l’érosion du littoral contraignent l’établissement à préempter de plus en plus au-delà de la limite légale des 100m.
FICHE IDENTITE Création : 1975. Budget : 45 millions d’euros, dont 25 millions consacrés à l’acquisition et à l’aménagement des sites. Salariés : une centaine de personnes, à la Corderie Royale à Rochefort, à Paris et aux sièges des délégations régionales. En outre, 150 gardes du littoral, recrutés par les collectivités locales, surveillent les sites. Activité : au 1er juin 2008, protège 117 200 hectares sur 600 ensembles naturels, représentant environ 1 000 km de rivages maritimes.
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