(Au Congo-Brazzaville)
A Ndoki, au nord de la forêt du Congo-Brazzaville, les journées sont rythmées par un nouveau rendez-vous. Au milieu de l’après-midi, ce petit campement de Pygmées voit débouler sur les chemins poussiéreux les enfants du village, courant rejoindre les adultes. Tous se pressent autour d’un poste de radio. Particularité de l’« attraction » : l’objet fonctionne sans pile, grâce à une dynamo et des panneaux solaires. Et suit donc facilement les déplacements successifs de la communauté. Mais surtout, c’est la première fois que les ondes parviennent à percer l’épaisse forêt et à parcourir les dizaines de kilomètres séparant le camp du bourg le plus proche, Pokola. Cerise sur le gâteau : une partie des émissions est retransmise en mbendjele, l’un des dialectes parlés par les Pygmées dans le Bassin du Congo, deuxième plus grand massif forestier au monde après l’Amazonie.
Enrayer le braconnage
Le nom de la petite révolution qui bouleverse les habitudes du « peuple de la forêt », c’est Radio Biso Na Biso. Son but ? Faire le lien (son nom signifie « entre nous ») entre les populations que tout oppose, mais qui se croisent aujourd’hui aux alentours de Pokola : des villageois de toujours, des migrants en quête de travail, des expatriés et des Pygmées, qui rejoignent les villages grâce aux pistes ouvertes par l’exploitation forestière locale, la Congolaise industrielle des bois (CIB). « Pokola est devenue un carrefour de communautés et il est vraiment nécessaire qu’elles échangent entre elles », estime Privat Massanga, l’un des deux coordonnateurs de la radio, lancée début 2009.Dans cette région enclavée, accessible après plus d’une heure de navigation poussive sur le fleuve Sangha, la cohabitation souffre quelques couacs. Les Bantous, l’ethnie majoritaire des villageois, n’hésitent pas à exploiter les Pygmées contre quelques bouteilles d’alcool de palme. Les engins forestiers massacrent parfois des arbres chargés de fruits ou abritant des termitières, essentiels pour ceux qui tirent leurs ressources de la forêt. Les Pygmées, eux, ne comprennent pas pourquoi il est interdit de chasser la viande de brousse. Chaque semaine, Pulchery Ekanga, une jeune journaliste locale formée sur le terrain, se débat avec ces questions dans son émission « Allo Forêt ». « Je pars en brousse pour donner la parole à ceux qui y vivent et faire remonter les problèmes, raconte-elle. Les forestiers viennent y expliquer pourquoi la lutte contre cette chasse est importante. » Celle-ci a été instaurée quand la CIB a décroché sa certification « Forest Stewarship Council » (FSC), garantissant une gestion durable des ressources forestières. Pour l’obtenir, la société a dû, entre autres, s’engager à enrayer le braconnage.
Tabous et polémiques
Les émissions de la nouvelle radio font aussi jaser dans les cases de Pokola : pour l’émission « Vox Populi », Damase Moundongue trimballe son micro dans les allées du marché local et soulève quelques tabous, questionnant ici sur la polygamie, là sur la prostitution… Dans « Parole de femmes », Lydie Koungou invite des « mamans » exemplaires, pour encourager les jeunes filles à suivre leur voie. « Lady » donne quant à elle la parole aux médecins pour combattre les mauvaises pratiques alimentaires et médicales. Pour toucher un large public, les émissions sont diffusées en plusieurs langues, dont le lingala, le bonguili et le mbendjele.Plus de 1 000 postes de radio ont également été distribués dans la forêt. A Biso Na Biso, on mesure le succès à l’encombrement des lignes téléphoniques. « Les gens n’arrêtent pas d’appeler. Ils nous demandent d’aborder de nouveaux sujets ou de revenir sur certains parce qu’ils aimeraient mieux comprendre. Sans compter les requêtes musicales ! », explique Damase, en charge du portable submergé d’appels.
« Biso Na Biso est la toute première radio communautaire d’Afrique centrale », se félicite Jerome Lewis. Cet anthropologue de la London School of Economics a vécu plusieurs mois parmi les Pygmées. Son expérience a permis de développer cette initiative, soutenue par la CIB, l’ONG The Tropical Trust Forest, la Fondation Chirac et la Banque mondiale, qui ont financé le projet à hauteur de 600 000 euros, sur trois ans. Le chercheur britannique voit déjà plus loin. « Ces radios communautaires peuvent améliorer les conditions de vie dans d’autres forêts. A terme, ces radios pourraient échanger et mettre en commun les problèmes et les solutions des habitants des forêts des quatre coins du monde. » —
UN « MODELE A EXPORTER »
Biso Na Biso est une radio communautaire originale, car elle s’adresse à des communautés hétéroclites réunies dans un même environnement. « C’est un modèle à exporter dans d’autres forêts car partout, l’avancée de la foresterie dans les terres vierges crée de plus en plus de cohabitations problématiques », explique l’anthropologue Jerome Lewis. Autres exemples : Madanpokhara, qui émet sur les contreforts himalayens, ou une radio dans le village péruvien de Marankiari Bajo.Photo : Alice Bomboy
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