La loi Grenelle de l’environnement prévoyait « la création d’une éco-redevance kilométrique pour les poids lourds sur le réseau national routier », afin de financer les infrastructures des modes alternatifs tout en faisant contribuer le transport routier à ses coûts écologiques et à l’usage de l’infrastructure. En effet, on estime qu’en intégrant les coûts externes, une tonne transportée sur 350 km devrait coûter 33 euros par route, 27 euros en train, 15 à 21 euros en fluvial, alors qu’aujourd’hui la route est artificiellement la moins chère.
Premier cadeau fait aux usagers de la route : les coûts écologiques (pollution de l’air, bruit et changements climatiques…) ont été oubliés, seuls les frais d’usages et d’infrastructures seront retenus. Mais ce principe de l’utilisateur-payeur, plébiscité par les Français et voté par la quasi-totalité des élus, n’est pas au goût des transporteurs routiers et de la grande distribution, qui préfèrent que la société continue à payer les coûts que leur activité engendre. L’application de l’éco-redevance kilométrique, devenue « écotaxe », déjà réduite à seulement 15 000 km de grandes routes, soit… 1,6% du réseau routier, n’a cessé d’être reportée… sept fois en tout depuis 2009. Les fédérations de transporteurs ne s’opposaient plus à ce dispositif (sauf l’OTRE, l’Organisation des transporteurs routiers européens), depuis qu’ils avaient obtenu que cette taxe soit facturée en supplément de leur prestation. Mais à l’automne 2013, le fameux épisode des bonnets rouges a entraîné la capitulation du gouvernement, qui d’ailleurs a fait l’erreur de considérer que c’était juste « une taxe de plus », ayant perdu de vue les motivations environnementales du départ.
Des compensations déjà versées
L’écotaxe est donc devenue « péage de transit », sur seulement 4000 km de routes. Cet aveu de faiblesse a alors réveillé l’opposition des entreprises de transports… Les transporteurs routiers avaient à peine proféré la menace d’un blocage des routes que la ministre de l’Ecologie annonçait jeudi 9 octobre, la suspension « sine die » de l’écotaxe, promue au rang d’ « écologie punitive ». Le message est clair, les contribuables et les automobilistes continueront donc de payer pour les camions et pour être pollués… Quand bien même la hausse à venir de 4 centimes par litre du gazole serait applicable aux routiers comme les députés viennent de le voter, leur contribution serait de 330 millions d’euros à comparer aux 1200 millions d’euros de l’écotaxe initiale.Dès 2009, en anticipation de l’application future de l’écotaxe, plusieurs cadeaux ont été distribués au transport routier : réduction de la taxe à l’essieu (50 millions d’euros par an), généralisation du 44 tonnes (usure des routes doublée par rapport à un 40 tonnes pour un coût de 400 millions d’euros par an), dégrèvement de l’augmentation de la taxe gazole sur la part régionale, évolution favorable de la taxe professionnelle... Des cadeaux qui représentent un total de près 800 millions d’euros.
Par ailleurs, l’abandon de l’écotaxe coûtera près de 2 milliards d’euros de pénalités et de manque à gagner : 800 millions d’euros, que l’Etat devra rembourser au prestataire Ecomouv, une perte de 1,15 milliard d’euros de recettes annuelles, (dont 800 millions devaient revenir à l’Etat et 150 millions aux communes concernées par la taxe). De plus l’ajournement de la taxe et les destructions de portiques ont déjà coûté au moins 250 millions d’euros. Au total, l’abandon de l’écotaxe représente, pour la collectivité, une facture de près de 3 milliards d’euros !
Péage ou redevance : ailleurs ça fonctionne
En Allemagne (que l’on cite souvent en modèle pour d’autres sujets !), un dispositif très proche de l’écotaxe est en place depuis 2005, la « LKW Maut », sans qu’elle ait eu des effets négatifs sur l’économie du pays ou sur les prix à la consommation. Le secteur allemand des transports a fait preuve de civisme et accepté cette fiscalité, qui a eu des résultats bénéfiques pour tous, avec une optimisation des trajets retour par exemple et l’accélération de l’innovation. Cette LKW Maut rapporte 4,5 milliards d’euros par an, et détourne nombre de poids lourds par les routes d’Alsace… La Suisse (1,2 milliard par an) et l’Autriche ont également instauré une redevance poids lourd ambitieuse sur leurs territoires, avec succès.Un secteur sous perfusion
En réalité, le transport routier longue distance est une activité qui n’est plus viable économiquement pour les entreprises françaises, face à la concurrence acharnée et à des coûts de main-d’œuvre très faibles (un routier international, souvent issu d’Europe de l’Est, gagne en moyenne 700 euros par mois). Malgré les aides de l’Etat, les transporteurs français ne parviennent pas à survivre, dans un secteur où la concurrence est sauvage et les bénéfices inexistants. Ce n’est donc jamais le bon moment pour faire payer aux routiers les charges qu’ils occasionnent à la collectivité, et cette posture malsaine tire vers le bas les autres modes de transports.Déjà beaucoup de cadeaux pour les routiers
Suite au lobbying intensif de leurs organisations (la Fédération nationale des transports routiers – FNTR –, l’OTRE, etc.), les routiers ont déjà obtenu moults avantages fiscaux bien avant qu’on ne parle de l’écotaxe, alors que simultanément une coûteuse modernisation du réseau routier national était menée au pas de charge aux frais des contribuables (plan routier breton, mises à 2x2 voies, autoroutes parfois gratuites…).C’est ainsi qu’après six ans de démarches ininterrompues des routiers, les pouvoirs publics ont mis en place une taxe intérieure sur les produits pétroliers (Tipp) sur le gazole professionnel moins importante que la Tipp générale. Aujourd’hui, une partie de la Tipp est donc remboursée par l’Etat aux routiers : de 2,50 à 5 centimes d’euros par litre, soit 350 millions d’euros par an.
Depuis le 1er janvier 2007, les Conseils régionaux peuvent majorer la Tipp sur le gazole d’une part variable selon les régions. Mais la Tipp du gazole à usage professionnel reste inchangée, les routiers ont donc encore échappé à cette contribution. Les routiers ont aussi obtenu la création d’un dégrèvement spécifique qui allège la taxation des véhicules lors de leur achat, de 700 à 1000 d’euros par poids lourd de plus de 16 tonnes.
En 1996, l’Etat a soumis les péages autoroutiers à la TVA mais sans augmenter les tarifs, ce qui revient à dire que l’ancien prix de péage incluait désormais 20% de TVA… remboursable aux entreprises ! Les routiers ont ainsi vu baisser d’un coup les péages de 20% ! Et avec effet rétroactif, car après six ans de lobbying des routiers, le Conseil d’Etat a finalement reconnu en 2005 le droit des entreprises à récupérer la TVA sur les péages acquittés entre 1996 et 2000. Cadeau : 1,3 milliard d’euros de TVA payés en cinq ans par les poids lourds, français et étrangers ! Autre forme de cadeaux, le laxisme des contrôles fait que 30% des camions circulent en infraction : excès de vitesse, surcharge, temps de conduite non respecté, usage de drogues, fraude aux péages, etc.
Manque de vision politique
La France navigue à vue dans le domaine des transports et n’a pas de vision multi-modale à moyen ou long terme. Nos gouvernements successifs se contentent de réagir aux demandes et menaces du secteur routier et renient leurs engagements envers le fret ferroviaire. En conséquence, la part modale du ferroviaire et du fluvial continue de chuter en France et est aujourd’hui à 12%, bien loin des 23,5% de 1990 et de l’objectif de 25% de la loi Grenelle... la route est en situation de quasi-monopole avec 88%, et la situation s’aggrave encore.Texte rédigé par la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) avec les contributions des associations France nature environnement, Agir pour l’environnement et Environn’MontBlanc, et les informations publiées sur le site FNTR.
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