Alix Mazounie est responsable des politiques internationales du Réseau action climat (RAC).
Vous revenez de Bonn. Il y a eu quelques coups de gueule rapportés par les médias…
Alix Mazounie : Ça faisait longtemps que les choses se passaient un peu trop calmement. Ça a claqué dès le lundi autour de la nouvelle version du texte qui circulait depuis quelques semaines (il avait été rendu public par le secrétariat de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC) le 5 octobre, ndlr) sur laquelle on demandait aux Etats de se positionner. La version précédente, qui comptait une soixantaine de pages, exposait les positions de tous les pays sans rien trancher. On comprend bien qu’il ait fallu couper pour arriver à un texte de négociation, mais là, en passant à 20 pages, ils ont littéralement coupé les apports de 134 pays [les membres du G77 et la Chine]. Avant Bonn, nous, les ONG, avions dit : « La forme est bien, plus lisible. Mais il manque un peu tout le fond. » C’est ce qu’ont réaffirmé les pays du G77 et la Chine en début de semaine, et pas gentiment. L’ambassadrice sud-africaine, Nozipho Mxakato-Diseko, a même parlé d’apartheid. C’était un peu fort comme terme. Mais ce qu’ils condamnaient en substance, c’est d’être obligés de quémander la réintégration d’éléments qui auraient dû être là depuis le départ. D’autant que leurs demandes ne sont pas de déraisonnables. En août, lors de la semaine précédent les négociations, ils avaient fait des efforts pour constituer, à 134 pays, un noyau commun de demandes et faire des propositions au secrétariat de la Convention. Ce n’est pas normal que ça ne se soit pas retrouvé pas dans le texte ! Résultat : ils ont rejeté le texte d’entrée en disant : « Vous vous foutez de nous ! » Ça, ce n’était pas prévu. Mais au moins le rapport de forces a été rééquilibré.
Il a fallu alors revenir en arrière. A un mois de la COP21, c’est dangereux, non ?
C’est vrai que les négociateurs ont passé la semaine à réintégrer ce qui avait été enlevé. On a perdu une semaine précieuse de négociations puisqu’on n’a pas réussi à trancher dans le vif. Le danger, c’est que, plus l’échéance se rapproche, plus les choses risquent de se passer dans la précipitation. Or, c’est dans ces moments-là que se perdent les notions clés. Ce que l’on craint, vu qu’il reste aux négociateurs à peine cinq jours (1), c’est qu’on se retrouve avec un compromis. Et les compromis se font toujours au détriment des plus faibles.
Sur quoi portaient les propositions supprimées qu’il a fallu réintroduire dans le texte à la demande des pays du G77 ?
Elles portaient notamment sur trois aspects : l’adaptation, les pertes et dommages (les impacts économiques du changement climatique dans les pays en développement, ndlr) et le financement. Dans le texte de 20 pages, ces sujets étaient devenus des non-sujets. Les pertes et dommages étaient réduits à un titre de chapitre suivi d’une phrase qui disait simplement que le sujet était reconnu comme un enjeu de l’accord (voir Article 5) ! Sur l’adaptation, c’était une série de phrases techniques. Sur le financement, ce n’était guère mieux. On avait bien mention de 100 milliards de dollars (90 milliards d’euros) par an mais entre crochets. Alors que c’est capital. Les pays en développement ont mis sur la table des contributions nationales assez ambitieuses mais elles sont toujours corrélées aux financements. Ils ont besoin d’argent, notamment pour l’adaptation. Et pour cela, il faut un engagement public. On peut financer l’atténuation avec du privé, la transition énergétique peut être rentable. Ce n’est pas le cas de l’adaptation. On se battra pour que le terme public soit dans l’accord final. Sur le financement, nous réclamons les 3 P : « public », « prévisible » et « plus ».
Vous réclamez aussi un processus de révision des objectifs…
Certains points pourraient éventuellement avoir de l’ambition mais s’il n’y a pas de système qui contraigne les Etats à revenir à la table des négociations tous les cinq ans pour revoir à la hausse leurs objectifs d’atténuation, de soutiens financiers et technologiques, cela n’a pas de valeur. Tous les cinq ans, on leur demandera combien ils sont prêts à mettre sur la table tandis que chaque année, on leur demandera d’exposer leur contribution en cours. Ils devront dire : « Voilà, ma contribution pour 2016, c’est tant. Voilà ce que j’ai dans mon plan de finances. »
Le texte de travail de 55 pages sorti de Bonn pourrait-il donner naissance à un bon accord ?
A partir de ce texte, deux accords totalement opposés peuvent être entérinés. Un accord relativement bon et un qui serait tout l’inverse. Avec l’option 1, on mettrait en place un mécanisme de révision tous les cinq ans et on placerait la compensation financière des pays en développement au cœur de l’action de la Convention. Avec l’option 2, il n’y aurait plus rien de tout ça. Dans le scénario 1, on prendrait un engagement suffisant pour financer l’adaptation en priorisant les prêts concessionnels (doté d’un élément de don d’au moins 35%, ndlr). Dans le scénario 2, tous les pays concentreraient leurs efforts sur l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre. Tout le texte est entre parenthèses. Donc tout est possible. En gros vous avez deux mondes : celui des Etats-Unis, du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande versus le monde de l’Afrique. Quel monde va gagner ? Ce n’est pas clair aujourd’hui.
Et l’UE dans tout ça ?
C’est la grande absente. On espérait qu’elle jouerait un rôle à Bonn. Un rôle de trait d’union entre les pays mais ça ne s’est pas passé. Si elle a envie d’un accord, elle va avoir intérêt à intervenir. Il faut qu’elle soit la troisième voix entre le Canada et les petits Etats insulaires.
Le brouillon d’accord ouvre-t-il la possibilité de tenir l’objectif des 2°C ?
Non, même s’il en sortait le meilleur, on ne serait pas dans la trajectoire des 2°C. Pour cela, il manque des objectifs concrets à long terme. 2°C, ça ne parle pas au monde économique. Qu’est-ce qu’il doit entendre pour comprendre qu’il faut agir ? Qu’il faut par exemple qu’on enterre les énergies fossiles. Alors, ils comprendront qu’il y a un risque à investir dans ces énergies-là. On sait qu’on n’obtiendra pas ça. Mais il faut s’en approcher le plus possible.
Si le meilleur accord possible ne nous met pas sur la trajectoire des 2°C, on peut en revanche avoir un accord qui jalonne un retour aux 2°C. C’est tout l’intérêt d’instaurer ce mécanisme de révision des objectifs tous les cinq ans. L’accord socle est un texte qui est là pour durer. Il faut faire gaffe à ce qu’on met dedans. Mais ce qu’il déterminera avant tout, ce sont les rouages. Un système qui devra ensuite être tout le temps en mouvement et évoluer à mesure que les connaissances scientifiques et les besoins évolueront. L’accord ne fera pas des miracles. Mais tout est encore possible.
(1) La deuxième semaine de la COP21 sera réservée aux négociations entre ministres des Parties.
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