L’employée de la BNP Paribas Opéra, à Paris, a sorti son smartphone pour immortaliser le moment : ce jour où quelque 260 militants écolos en gilets fluos ont dansé sur le refrain « Niquons la planète » au milieu de son agence. Pendant près d’une heure, les membres du mouvement Action non violente (ANV) COP21 ont troublé la tranquillité de ce mercredi 9 décembre, « sans haine, sans armes et sans violence », comme le clame le chanteur HK, en plein show entre les bureaux. Tandis que la star du jour chauffe la salle aux côtés de l’eurodéputé Europe Ecologie - Les Verts José Bové, les banquiers se replient et leurs ordinateurs passent en mode veille.
Ce concert est l’apogée d’un mouvement de « désobéissance civile », illégal mais non violent, né il y a plus d’un an. Déterminé à « ouvrir un débat public » sur l’évasion fiscale, des dizaines d’activistes réquisitionnent des chaises – à ce jour 243 – dans les banques aux placements les moins éthiques. Pour diffuser l’idée que « l’argent pour le climat existe, il est dans les paradis fiscaux », ils s’exposent, en toute connaissance de cause, à des peines maximales de cinq ans de prison et 75 000 euros d’amendes. Ces derniers mois, BNP Paribas est devenue la principale cible de leur guerre d’usure. Ses filiales aux îles Caïmans, son sponsoring de la COP21 et son niveau de financement des énergies fossiles en font le mauvais élève par excellence. « La banque a pris des engagements sur le charbon, mais c’est insuffisant, elle reste le 9e financeur mondial », explique Lucie Pinson, porte-parole d’ANV COP21. Pour la peine, l’établissement subit de nouveaux assauts chaque semaine. « Ces actions se veulent les plus inclusives possible », explique Florent Compain, président des Amis de la Terre, partie prenante des actions. Pour lui, « la méthode fonctionne : parmi les participants, on rencontre des gens qui n’ont jamais mis les pieds à nos réunions ». Devant BNP Paribas, Joëlle, cheveux blanc sous un bonnet de laine, attend la sortie de ses compagnons de lutte. « Quand les forces de l’ordre sont arrivées, les organisateurs nous ont dit : “Ceux qui ne veulent pas se faire arrêter, vous devriez sortir maintenant.” C’est ce que j’ai fait, avec une vingtaine de petites mamies », s’amuse-t-elle.
Mis à la porte manu militari de l’espace Solutions COP21
« Dépêchez-vous de prendre des photos, il y a des risques qu’on ne reste pas longtemps », prévenait, avant le début de l’action, Gayanhé Jovet, membre du collectif ANV. Moins d’une semaine plus tôt, une équipe de désobéissants se faisait mettre à la porte manu militari de l’espace Solutions COP21 – qui réunit les stands des entreprises au Grand Palais le temps de la conférence sur le climat. Malgré les risques de finir au poste, la règle d’or reste inchangée : toute action se mène à visage découvert. « On est des gentils, c’est notre meilleur arme pour tourner nos cibles en ridicule », sourit une participante, tandis que les peacekeepers expliquent avec douceur aux employés et policiers le sens de cette agitation. Ce jour-là, ils repartiront sans encombres.
Le mode opératoire, pacifique et planifié, est le même pour chaque action. « Depuis septembre, il y a bien un millier de personnes à travers la France qui ont été formées à la désobéissance civile, 300 sur ces derniers jours », avance Isabelle Frémeaux, membre du laboratoire d’imagination insurrectionnelle, elle-même formatrice. « Nous sommes face à un gouvernement qui utilise un événement tragique pour faire taire la critique sur la question climatique », s’emporte-t-elle, évoquant l’interdiction des grandes marches pour cause d’Etat d’urgence. « Et comme les gens – et pas forcément les plus militants – restent déterminés à agir, ils se tournent vers les actions de désobéissance », reprend-elle. Pendant la COP21, ses anciens élèves passent donc aux travaux pratiques.
« On rêve d’un mouvement à la Martin Luther King »
Leur agenda déborde pour la deuxième semaine des négociations. Dimanche, les « faucheurs de chaises » regroupaient leur butin à Montreuil (Seine-Saint-Denis) et appelaient à l’internationalisation du mode d’action. Mardi, le collectif Jedi for Climate jouait du pipeau pour dénoncer le greenwashing à l’espace Solutions COP21. A mesure qu’approche la clôture des négociations, le rythme s’accélère : mercredi matin, les militants de Via Campesina peignaient des lignes rouges devant le siège de Danone. Mercredi après-midi, on dansait à BNP Paribas. Jeudi matin, les membres du Réseau Sortir du nucléaire faisaient à leur tour la fête dans une agence EDF. Au même moment, un commando d’ANV COP21 s’introduisait dans les locaux de l’Union française de l’industrie pétrolière, déguisé en famille Addams pour dénoncer les 650 milliards de dollars annuels (594 milliards d’euros) de subventions publiques versées aux énergies fossiles. Pendant ce temps, d’autres s’entraînent pour le climax de cette effervescence : l’avalanche de manifestations prévues ce samedi 12 décembre.
Toute la semaine, des groupes d’activistes, de Glasgow à Stockholm, se livrent à une partie de désobéissance civile mondiale, baptisée Climate Games. Face à cette myriade d’actions, Sylvine Bouffaron, une assidue des actions d’ANV, se prend à espérer : « On rêve, pour le combat climatique, de faire émerger un mouvement à la Martin Luther King ! »
Une désobéissance mondiale ?
Bien après la COP, bien au-delà de l’Hexagone : le mouvement de désobéissance civile pour la justice climatique voit loin. Sur le site du Bourget, où se tiennent en ce moment les négociations officielles, on organise la suite. « Du 7 au 15 mai prochains, au Brésil, au Canada, aux Etats-Unis, en Indonésie et ailleurs, nous allons organiser d’importants mouvements de désobéissance civile et des actions non violentes pour combattre directement les projets d’exploitation des énergies fossiles », a annoncé Payal Parekh, directrice générale de l’ONG 350.org lors d’une conférence de presse, ce jeudi 10 décembre. « Des gens se disent : “Trop c’est trop” et sont prêts à aller en prison », embraie Kumi Naidoo, directeur exécutif international de Greenpeace. Pour faire face aux « problèmes d’audition des dirigeants politiques », il applaudit la stratégie et se réjouit des annonces de ses voisins de tribunes. D’une ONG à l’autre, on parle déjà d’un « printemps du climat »
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