A gauche, un grand panneau blanc et bleu, classiquement hospitalier, annonce encore « Ecole de sages-femmes ». A droite, un panneau bricolé, installé au-dessus d’un portant de vieilles fringues et de quelques meubles à retaper proclame : « Ressourcerie créative ». Bienvenue aux Grands Voisins, dans le sud de Paris. Ici, au 82 avenue Denfert-Rochereau, des générations de Parisiens ont été mis au monde dans ce qui fut l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul. Aujourd’hui, dans les anciens bâtiments de maternité et de pédiatrie désertés, naissent d’autres histoires, solidaires et collaboratives, et se façonnent d’autres destins.
Il y a d’abord ceux à qui la vie n’a pas fait de cadeaux, qui atterrissent ici pour se retaper, dans l’espoir d’en repartir sur pied. Avant de quitter les lieux, en 2012, l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris en a confié les clés à l’association Aurore, spécialisée dans l’hébergement social et d’urgence. En attendant que la ville de Paris ne transforme Saint-Vincent-de-Paul en écoquartier de 600 logements, dont le chantier devrait être mis en route en 2017, les vénérables édifices offrent l’hospitalité à plus de 500 personnes, anciennement à la rue, jeunes majeurs en rupture de ban, femmes isolées, travailleurs migrants…
Disposer d’autant de place, en plein cœur de Paris, constitue une aubaine sans être une sinécure. L’hôpital fantôme, abandonné depuis plusieurs années, expose encore des centaines de fenêtres murées, déplore des toits qui fuient, des circuits électriques à retaper. « C’est si vaste que je découvre encore certains endroits que je ne connaissais pas, lance Pascale Dubois, responsable du projet Saint-Vincent-de-Paul à Aurore. Devenir gestionnaire d’un site si important, ça oblige avant tout à trouver un équilibre économique ! » Pour gérer ce quartier au sein du quartier, petit territoire autonome de 3,4 hectares, les frais des gestion sont élevés. Sécuriser, éclairer, chauffer ces milliers de mètres carrés coûte la bagatelle d’1,2 million d’euros par an. Les subventions n’y suffisent pas. D’où l’idée de convier, dans les vastes espaces encore disponibles, ceux qui en ont besoin et sont prêts à payer – un peu – pour cela ?
« Un bâtiment vide coûte cher car il se dégrade »
C’est ainsi que Déclic et des Trucs, jeune start-up qui conçoit des jeux éducatifs pour rendre les maths enfin ludiques, s’est retrouvée dans l’ancien bâtiment de consultation orthophonique. L’équipe, tout juste sortie de l’incubateur de Sciences-po, a retapé, à ses frais et à son goût, les 45 mètres carrés un peu foutoir qu’elle loue pour 700 euros par mois. « C’est deux fois moins cher que les prix du marché dans ce quartier », souligne Simon Laisney, fondateur de Plateau urbain, l’association qui a géré l’arrivée, à l’automne dernier, de 70 structures de l’économie sociale et solidaire, répartie sur 3 000 mètres carrés vacants, deuxième étape de la nouvelle vie de Saint-Vincent-de-Paul.
Plateau urbain joue l’interface entre les propriétaires des bâtiment destinés à être détruits ou réhabilités et les porteurs de projet qui peinent à trouver des locaux professionnels. L’idée repose sur le constat que tout le monde a à gagner dans ces formes de squat bien légaux. « Un bâtiment vide ça coûte cher car il se dégrade. Il faut le sécuriser, payer des taxes… L’occuper, c’est faire des économies ! , signale Simon Laisney. De l’autre côté, en y installant des jeunes entreprises, des artistes ou des associations pour une durée limitée, on leur retire le poids d’un loyer cher pour qu’elles puissent se concentrer sur leur développement. » Le tout à moindres frais donc, à condition que l’on se contente de l’existant : récupérer les meubles disponibles sur place, refaire un coup de peinture si le cœur y est, poser une serrure sur sa porte si nécessaire. Pas d’investissements colossaux sachant que le principe, c’est que ça ne va pas durer. « Il nous fallait impérativement de l’espace pour entreposer notre matériel, et, même si la perspective n’est que de deux ans, c’est déjà long pour notre jeune entreprise », explique Sarah, de Déclic et des Trucs.
Ateliers de couture, potager urbain, chantier peinture…
Sur un mur de l’ancienne salle de consultation, leur nouvelle tanière, un petit papier rappelle que le tour de poubelles tombe la semaine suivante. A cet étage du bâtiment Lelong – où l’on trouve aussi un cabinet d’architecte et un salon de consultation de shiatsu –, il faut partager cuisine, WC, salle de réunion et ménage. Un chocolatier, une céramiste, une costumière, une boîte de production, des dizaines d’associations, d’artisans et de start-upers font de même dans les anciennes salles de radio, de soins dentaires, d’opération, dans les locaux techniques et les appartements de direction. Mais pas que. Chacun doit aussi, en contrepartie de son loyer modeste, participer à la vie collective des Grands Voisins, et tendre en quelque sorte la main aux bénéficiaires de l’hébergement d’urgence.
En fonction de ses talents, de ses envies et de ses disponibilités, certains proposent des ateliers de couture, un potager urbain, un chantier participatif pour refaire la peinture de l’un des bâtiments. Pour l’association Aurore, ces échanges de bons procédés ouvrent aussi des perspectives humaines. « Héberger et nourrir, ce sont nos priorités. Mais pour l’accompagnement des personnes, il y a peu de moyens, il faut innover sur le travail social », explique Pascale Dubois. Ainsi, Rob, artiste peintre qui a investi plusieurs salles transformées en atelier avec sept autres compères, pour 150 euros chacun par mois, répète-t-il les morceaux de guitare qu’il jouera dimanche, en concert, à l’ancienne lingerie de l’hôpital. « Ma contribution à la vie sociale », lance-t-il, avec son fort accent anglais.
Au centre du site, le bâtiment en briques, dont certaines fraîchement repeintes en jaune vif, abritait jadis les piles de blouses, de draps et de calots de chirurgie. Transformé en bar, il est devenu le pivot de cette drôle de colocation géante. Une grande ardoise posée à l’entrée affiche le programme hebdomadaire des Grands Voisins : yoga, danse, atelier céramique et visite guidée des lieux pour les curieux. Le week-end, les habitants du quartier peuvent eux aussi y boire un coup ou participer à une activité. Investie par l’association marseillaise Yes We Camp, qui s’est fait une spécialité d’animer les lieux éphémères, la Lingerie a pour mission de mélanger tout le monde : habitants, travailleurs et riverains. « Le café, c’est toujours central. C’est autour de la nourriture qu’on se retrouve le mieux, mais on ne s’attend pas à faire descendre les 600 résidents d’un seul coup ! », raconte Elena Manente, de Yes We Camp. Mêmes si les clients qui déambulent ce vendredi après-midi-là au milieu des canapés et des chaises de récup joliment disposées ressemblent plus à des trentenaires un poil branché qu’à des jeunes réfugiés, le jeu en vaut la chandelle.
« Les personnes qui fréquentent les hébergements d’urgence le savent bien : ce sont habituellement des lieux relégués, mal appréciés dans l’environnement urbain, répond Pascale Dubois. Ici, ils habitent dans un lieu attractif pour le quartier, un endroit sympa où les gens du coin viennent boire un verre. Cela change beaucoup pour la considération, pour la perception qu’ils peuvent avoir d’eux-mêmes. » Les grands barbecues organisés par Yes We Camp ont déjà montré que les barrières entre les uns et les autres étaient surmontables. Ici se tient également, tous les deux mois, un conseil des Voisins où se réunissent les deux communautés du site, et pendant lequel envies, frustrations et solutions s’expriment et se dessinent. « C’est un défi : l’objectif de la mixité sociale, ça ne se décrète pas, ça ne vient pas de soi, il faut être humbles », poursuit Pascale Dubois.
Dans ce joyeux laboratoire, les premières portes ouvertes ont eu un succès fou. Les Grands Voisins ont moins de deux ans pour remporter leur pari. A ceux qui trouveraient vains de tels efforts, ces habitués de l’éphémère répondent que le provisoire est une opportunité à ne pas rater. « Dans l’hébergement d’urgence, on a l’habitude de prendre des locaux très rapidement, très ponctuellement, explique Pascale Dubois. Si on réussit l’expérience d’une telle innovation sur ce site gigantesque, nous aurons la légitimité pour la reproduire ailleurs. Les lieux vacants sont nombreux, on peut leur redonner une utilité, mais il faut en faire la démonstration. » A l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, plusieurs centaines de personnes ont encore quelques mois pour accoucher d’un épatant projet collectif.
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