« Mais contre quoi manifestent-ils ? », avait demandé Erin Burnett, présentatrice sur CNN, à propos des manifestants installés à Zuccotti Park, rebaptisé Liberty Plaza, en plein Wall Street. Samedi, les indignés de New York lui ont répondu. Après plus de trois semaines de campement au cœur du quartier de la finance mondiale, ils ont lancé une « marche sur les banques », en rejoignant Times Square en fin de journée, heure à laquelle ce temple de la consommation est pris d’assaut par les touristes.
La finance, cœur de la cible
« La cible de ce mouvement est clairement le secteur financier », explique Daniel Immerwahr, post-doctorant au Commitee on Global Thought, à l’université Columbia, qui prend part au mouvement Occupy Wall Street depuis deux semaines. « Les médias ne renvoient pas une vision exacte. Ils viennent en journée et ils voient surtout des jeunes et des étudiants. Ces activistes sont une part importante, mais ils ne sont pas LE mouvement ! Il y a aussi des retraités, des gens avec un boulot, des universitaires, pour qui ce n’est pas facile de camper ici et qui rejoignent la place après le travail ou le week-end. »
Au milieu d’une bibliothèque improvisée, d’un poste de secours et de stands, Jennifer témoigne de cette diversité. « Je travaille, mon mari aussi. Nous faisons partie de la classe moyenne, mais année après année, tout est plus cher, la vie est de plus en plus difficile, pour faire les courses, pour élever nos enfants. Acheter une maison ? Nous n’y arriverons jamais. Nous faisons partie des 99% de la population qui supportons les conséquences du système financier actuel, pendant que les très riches, qui ne sont que 1%, engrangent toujours plus d’argent », lance-t-elle, déterminée, aux côtés de sa fille Samantha, qui, du haut de ses 4 ans, brandit une pancarte « I am the 99% ».
« Wall Street a besoin d’un bon nettoyage »
Comme Jennifer, de nombreux parents sont venus avec leurs enfants. Les policiers encerclent la place, mais laissent les manifestants balayer entre leurs pieds sans sourciller (le maire de New York, Michael Bloomberg, avait programmé l’évacuation du lieu vendredi, invoquant la nécessité de nettoyer le parc). Les pancartes, elles, rétorquent aussi clairement au maire : « Wall Street needs a good cleanup » ( « Wall Street a besoin d’un bon nettoyage ») brandit pacifiquement une jeune femme. Le contact a été plus brutal en début d’après-midi, à Greenwich Village, au Sud de Manhattan, quand des militants ont voulu mettre en œuvre le Move Your Money Project. Objectif ? Retirer son argent des grandes institutions bancaires pour le placer dans des petites banques locales. Alors qu’ils essayaient de fermer leurs comptes chez la géante Citibank, près de 25 d’entre eux ont été arrêtés.
Toute la journée, les New Yorkais se sont rassemblés localement, dans le Bronx, à Harlem ou à Brooklyn, avant d’affluer vers Times Square à 17h. Sur place, le dispositif anti-manifestation est installé : des barricades séparent la place sur toute la longueur, parquant les militants (des « dizaines de milliers », d’après les organisateurs) des deux côtés de l’allée. Le Wall Street Journal décrira le lendemain une ambiance « chaotique », mais vue de France, la protestation semble plutôt disciplinée : quelques barrières tombent, tout au plus ! « Ils peuvent empêcher la foule de se rencontrer, mais le message passera. Nous sommes travailleurs sociaux et nous voyons la situation se dégrader progressivement depuis quarante ans. Les politiques ont atteint un niveau de corruption par les grandes entreprises qui n’est plus tenable », commentent Linda et Alan Saisselin, militants septuagénaires. D’après le porte-parole de la police, 45 personnes, qui refusaient de se disperser, ont été arrêtées à Times Square, puis 10 à Washington Square, où le rassemblement s’est poursuivi dans la nuit.
Une protestation appelée à durer indéfiniment
« Cette protestation n’a rien à voir avec ce que nous connaissons. Quand va-t-elle finir ? Nous n’en savons rien. Ce n’est pas comme lorsque les gens se sont opposés à la guerre en Irak. Les manifestations étaient ciblées dans le temps, et leur fin dépendait de la réponse apportée par les politiques. Là, nous n’avons pas de solutions à donner dans l’immédiat. Nous protestons, nous ne sommes pas un think thank. Nous parlons bien sûr beaucoup entre nous, mais c’est normal que tout le monde n’ait pas une opinion à donner sur le Dodd-Franck Act (un projet de réforme pour régulariser les marchés financiers passé sous l’administration Obama, mais pas encore entré en vigueur, ndlr). Le mouvement a été critiqué pour ce manque de solutions, mais les politiques n’en ont pas non plus ! Il faudra du temps pour les construire et atténuer le rôle écœurant que joue actuellement l’argent en politique », explique Daniel Immerwahr. Pour les organisateurs, la journée est un succès. « D’autres actions sont attendues dans les semaines à venir, et l’occupation de Liberty Plaza continuera indéfiniment », affirment-ils sur occupywallst.org.
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