Mise à jour le 15 octobre 2013 : Le chiffre d’affaires des vins bios a progressé de 15 % en 2012 pour atteindre 413 millions d’euros. Le tout grâce à une forte hausse de la consommation. Autant de Français qui jugent que, non, le vin bio n’est pas dégueu.
Imbuvable, la bibine bio ? Assurément, selon Guillaume Durand. L’animateur avait nourri ainsi la polémique en mars 2010 en déclarant « les vins bios sont dégueulasses » lors d’une émission, se souvient Antonin Iommi-Amunategui sur son blog hébergé par Rue89. « Savez-vous que la plupart des plus grands vignerons français et étrangers produisent leurs vins avec des raisins issus de l’agriculture biologique ? », s’agaçait en réponse Christine Ontivero, communicante spécialisée dans le vin, qui s’exprimait sur le site Meilleursvinsbio.com.
Mais pourquoi diable Guillaume Durand en voulait tant au vin bio ? « A une époque, 9 vins bios sur 10 étaient mauvais, se souvient Jean-Michel Deluc, ancien chef sommelier du Ritz aujourd’hui expert pour le site Le petit ballon On en était encore aux balbutiements. » Et le spécialiste de rappeler que « le vin bio n’est pas une invention récente. Avant d’avoir les intrants chimiques, on faisait sans mais les vins n’avaient pas le niveau qualitatif des vins d’aujourd’hui ». Comment donc la chimie a-t-elle rendu le vin meilleur ?
La magie de la chimie
Dans le vin conventionnel, on trouve du sorbate de potassium et du dioxyde de soufre (SO2), souvent désigné sous le terme générique de sulfites. Le premier a des propriétés antifongiques et permet de limiter l’action des levures. En clair, il évite qu’une seconde fermentation n’ait lieu en bouteille à partir du sucre résiduel. C’est le risque notamment avec des vins liquoreux, doux, moelleux… Le second est un antiseptique qui permet de maîtriser la flore microbienne du vin. Les deux éléments permettent de stabiliser le liquide et d’éviter qu’il ne tourne… au vinaigre, son stade ultime. Mais dans l’agriculture biologique, le sorbate de potassium est banni tandis que l’apport en sulfites est très encadré. Il est limité à 100 mg par litre pour le vin rouge (contre 150 mg/l pour le vin conventionnel) et à 150 mg pour les vins blanc et rosé (contre 200 mg/l en agriculture conventionnelle.)Quand le bio sent le purin
Privés de ces barrières chimiques, le bio est difficile à manier. « Si le raisin a été bien protégé contre les maladies cryptogamiques et les ravageurs, ce qui possible en bio mais plus difficile et plus onéreux qu’en viticulture raisonnée ou conventionnelle, il sera aussi bon mais pas meilleur. En revanche, si le feuillage a été détruit par les champignons ou les insectes, si le raisin a pourri avant maturité, il ne sera pas possible de faire du bon vin », précise Denis Dubourdieu, professeur d’œnologie à l’université de Bordeaux.« Dans le bio, il faut faire gaffe. Le manque d’hygiène peut créer des déviances bactériologiques. On peut se retrouver avec un goût pas net, une note animale, de purin », note Jean-Michel Deluc. « Le vin bio demande de l’expérience. Il faut des années pour maîtriser son bio », poursuit le maître sommelier qui cite au panthéon des grands noms ayant réussi le délicat exercice le domaine de Trévallon aux Baux-de-Provence (Bouches-du-Rhône) (premier domaine viticole français en agriculture biologique) ou celui de Huet à Vouvray (Indre-et-Loire), des viticulteurs qui sont « dans le système bio depuis vingt, trente ans. »
Le goût d’une terre bien traitée
Quelquefois pourtant, quand l’exercice est maîtrisé, le vin bio tire son épingle du jeu. Pour Jean-Michel Deluc, « les vins bios peuvent avoir cette qualité du fruit, de la minéralité respectée. Ça peut-être flamboyant, baroque, formidable ! » Mais où donc tire-t-il des avantages ?« Pour moi, sur le processus de vinification, il n’y a pas de différence entre vin bio et non bio, on extrait les arômes de la même manière. Mais ce qui change les choses, c’est la bonne santé de la vigne liée au sol. Si on prend soin de l’équilibre du sol, de la vie microbienne, la terre est moins stressée, moins sujette aux à-coups », explique Jean-François Margier, propriétaire du domaine La Michelle, à Auriol, dans les Bouches-du-Rhône, qui pratique l’agriculture raisonnée et biologique. « Ce n’est pas le bio qui fait cette qualité. Moi je sortais d’une génération d’engrais chimique, je ne me sentais pas de franchir le cap du bio directement alors j’ai d’abord fait cinq ans d’agriculture raisonnée. Entre la dernière année d’agriculture raisonnée et la première année en bio, il n’y a pas eu un changement transcendant de qualité », assure-t-il, fort de son expérience. Une idée soutenue par Michel Véron, professeur d’œnologie au lycée viticole de la Champagne et auteur d’un site pédagogique : « Pour moi la qualité d’un vin est davantage liée au savoir-faire du vinificateur qu’au fait que ses raisins soient bios ou pas. En Champagne les vignerons bios que je connais sont des passionnés, ils ont une prise de conscience de leur impact sur l’environnement et ça se retrouve dans la vinification. »
Pas de doute pour Jean-Michel Margier. « Nos vins sont extrêmement aromatiques, ils ont une longueur en bouche. Moi, j’ai participé à des concours où l’on ne fait pas de distinction entre bio et non bio et je suis sorti médaillé d’or », souligne-t-il. « Ce ne sont pas des vins de garde mais la garde est une spécificité bien française. Les gens ne gardent pas leurs vins », nuance Jean-Michel Deluc.
Bio ou pas bio, naturel ou conventionnel (voir encadré), pour Denis Durboudieu le problème est ailleurs : « Il vaudrait mieux s’étonner qu’il y ait encore tant de vins mal faits : alcooleux, acétiques, acescents, oxydés, fétides, sulfureux, lactiques, butyriques, phénolés, amers, astringents, dilués, desséchés, sur-boisés, feuillus, moisis, terreux. Ces défauts impardonnables affectent hélas plus ou moins toutes les catégories revendiquées : conventionnels, bios, naturels, biodynamiques. Aucune norme ne saurait excuser ces graves atteintes à la bonté du vin. Pour ce qui me concerne, je ne demande au vin que d’être bon, de me faire du bien et de m’émouvoir. Peu m’importe l’obédience dont il se flatte », précise l’œnologue.
Le vin naturel, forcément une piquette ?
Dans le cas des vins naturels, l’exigence est davantage poussée puisque l’apport en sulfites est encore plus limité, voire interdit. « Aucun intrant n’est ajouté, le soufre demeurant l’exception », souligne le site de l’association des vins naturels qui fait figure de référence. La tolérance est de 30 mg/l pour les rouges et de 40 mg/l pour les blancs. « L’absence de sulfites crée des déviances encore pires, assure Jean-Michel Deluc. On n’a rien trouvé de mieux que le soufre pour éviter les bactéries. Sans lui, on prend des risques. Et en tout cas, on ne fait pas des vins de garde. » Les vins naturels sont donc à consommer immédiatement. « Au départ on a du jus de raisin, qui devient du vin et qui tend à devenir du vinaigre. Il y a un moment où il faut intervenir. L’apport de sulfites est incontournable. Mais si on a mené les choses avec finesse, on n’aura pas grand chose à ajouter », précise Jean-François Margier. Des critiques refoulées par Loïc Malaboeuf, caviste au Verre Volé, un bistrot-épicerie-cave parisien spécialisé dans les vins naturels. « Les vins naturels sont plus vivants que les vins conventionnels, qui sont plus bloqués, plus soufrés. » Certains ont des gaz, donc sont pétillants ? C’est qu’« ils ont continué à travailler dans la bouteille. Ce n’est pas un défaut, il faut juste le savoir », précise le caviste. Reste que leur qualité varie beaucoup d’un vin à l’autre, concède le caviste. Mais de manière générale « on est sur la bonne voie du point de vue du goût. » |
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