Ce n’est pas tous les jours qu’on fait la couverture du prestigieux magazine Science. Ce vendredi 22 mai, le plancton récolté pendant les trois ans et demi par l’expédition Tara océans s’étale dans toute sa mystérieuse beauté sur la une d’un hors-série de la célèbre revue scientifique. Et l’équipe de chercheurs internationale et pluridisciplinaire qui y publie cinq articles, réunie au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), à Paris, ne boude pas son plaisir. L’aventure Tara livre enfin ses premiers résultats. Et, bien que concernant des êtres vivants microscopiques, ils sont de taille.
Deux ans après le retour de la goélette Tara qui a parcouru entre 2009 et 2013 tous les océans du globe pour récolter des échantillons de plancton, les scientifiques des 18 laboratoires de recherches internationaux réunis dans cette aventure savent que leurs trouvailles vont révolutionner les connaissances sur cet écosystème mal connu et pourtant décisif pour la planète. « Nous avons désormais la description la plus complète faite jusqu’à présent des organismes planctoniques, de leur patrimoine génétique, des interactions entre eux, ainsi que de l’influence du climat et des courants sur eux », annonce Chris Bowler, directeur de recherche CNRS, l’un des coordinateurs scientifiques de Tara océans.
Un jeu immense de virus et de bactéries
Pour publier les cinq articles de Science, une partie des 35 000 échantillons, récoltés dans 210 endroits du globe, ont été passés à la moulinette du séquençage génomique. Ainsi, les scientifiques se sont d’ores et déjà attaqués à certaines catégories d’habitants de la grande communauté planctonique. En premier lieu, les virus, organismes les plus petits, de l’ordre de quelques dizaines de nanomètres, et les plus abondants, à hauteur d’un à cent milliards par litre d’eau de mer. « Ces virus ont un rôle dans le contrôle des populations de bactéries et donc un rôle global dans l’écologie des océans », explique Patrick Wincker, directeur du Genoscope-Centre national de séquençage, coordinateur de la partie génomique de Tara. « Le jeu de données virales que nous avons pu réunir est 200 fois plus grand que le plus grand jeu existant, explique Patrick Wincker. Et plus de 99% de ces génomes viraux sont totalement nouveaux. »
En second lieu, les bactéries dont le rôle dans le processus de photosynthèse, de dégradation de la matière organique, de fixation du CO2 et de l’azote, est capital. Là encore, la récolte de Tara change l’échelle des connaissances. « Nous avons pu réunir une collection de 40 millions de gènes différents pour plusieurs dizaines de milliers d’espèces, dont plus de 80% de nouveaux », précise Patrick Wincker. Pour les bactéries comme pour les microbes, les premières analyses révèlent également que la température de l’eau est un facteur déterminant de la composition de ces communautés microbiennes. Le changement climatique pourrait donc affecter ces équilibres.
« La classe moyenne du plancton »
D’autres équipes se sont penchées sur les protistes, des organismes unicellulaires très complexes, la « classe moyenne du plancton, totalement ignorées par les biologistes », précise Colomban de Vargas, directeur de recherche CNRS à la station biologique de Roscoff (Finistère). Le séquençage d’un milliard de codes-barres génétiques a permis de dresser une photo de famille inédite. Des chercheurs ont, de leur côté, dessiné une cartographie globale des interactions entre espèces de plancton. Les modèles qu’ils ont créés ont pu être confirmés par les échantillons de Tara. Enfin, l’équipe coordonnée par l’océanographe italien Daniele Iudicone a fourni une première description des communautés planctoniques de part et d’autre d’un goulet d’étranglement planctonique, situé à la pointe de l’Afrique du Sud, un mécanisme clé de la machinerie climatique de la planète.
Ces cinq premiers articles ont réuni plus de 258 contributeurs et ne sont que le début de plusieurs années – peut-être plusieurs décennies – de recherche. « Nous recevons déjà des appels de laboratoires du monde entier », se réjouit Patrick Wincker, directeur du Genoscope. Les données de Tara océans sont en effet désormais publiques et disponibles pour toute la communauté scientifique internationale. De quoi turbiner pour les biologistes, les océanographes, mais aussi les écologues et les climatologues. « Un tel échantillonnage et un tel séquençage, personne ne l’a jamais fait auparavant, biche Eric Karsenti, codirecteur de Tara océans. Avec ce matériel, des modèles prédictifs vont pouvoir être élaborés pour dire comment ces écosystèmes vont changer sous l’effet du changement climatique. »
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