Terminé le caprice, en plein supermarché, pour un paquet de céréales « vu à la télé » ? Jeudi 14 janvier, l’Assemblée nationale a adopté, en très petit comité et contre l’avis du gouvernement, la proposition de loi de la députée Europe Ecologie - Les Verts Michèle Bonneton « relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique ». Si le texte n’est pas vidé de sa substance au fil des navettes parlementaires – ce qu’une précédente tentative peut laisser présager – à partir de 2018, les spots publicitaires devraient disparaître, quinze minutes avant, quinze minutes après et pendant les programmes de France Télévisions destinés aux enfants de moins de 12 ans. Les publicitaires perdraient alors l’un des accès à une cible hautement stratégique : l’enfant. « On ne peut pas faire l’économie de s’adresser à lui », estime Charlotte Dupuis, directrice de ABCplus, institut chargé d’évaluer les comportements de consommation des enfants de 0 à 14 ans et des familles pour des clients comme Danone, Lego, Kellogg’s, McDonald’s ou McCain. « L’enfant a un rôle avéré dans la consommation, la sienne et celle de la famille, ce serait hypocrite de le nier », reprend-elle. Cet intérêt des pros du marketing pour nos têtes blondes ulcère les associations d’éducation populaire. « On s’adresse à un public qui n’a pas les clés de compréhension, c’est une forme d’atteinte aux libertés », estime Christian Gautellier, président du pôle média des Céméa (les Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active). Pour quelles raisons nos chérubins cristallisent-ils tant les passions ?
1) Devant la pub, l’enfant est bon client
Convaincre un enfant est plus facile que convaincre un adulte. Oubliez le second degré, les tournures métaphoriques, l’appel au bon sens ou à la raison.
« Contrairement aux adultes, le mécanisme de persuasion d’un enfant ne repose que sur un seul levier : l’agrément », explique Ziad Samaha, directeur général d’
IM impact, bureau de conseil en efficacité publicitaire.
« Un enfant, si vous arrivez à le faire rire, c’est gagné ! », résume-t-il. Ce levier imparable est renforcé par une absence totale d’esprit critique :
« L’enfant ne distingue pas un dessin animé de ses publicités, pour lui ce qui est dit à la télé c’est la vérité », complète Ronan Chastellier, sociologue, auteur du
Marketing Jeune. Que l’un ait une visée mercantile, l’autre pas, ne leur fait donc ni chaud ni froid.
« Avant 8 ans, l’enfant ne comprend pas l’intention derrière un message », confirme Christian Gautellier, en s’appuyant sur les travaux de
Jean Piaget sur le développement cognitif. Pour le responsable des Céméa,
« c’est au nom de ces connaissances sur le développement de l’enfant qu’on devrait maintenir des espaces protégés où les plus jeunes ne seraient tout simplement pas exposés à la publicité. »2) La télé, un média surpuissant
En matière de marketing jeunesse, Internet fait ses preuves. En témoigne le succès du
challenge Youtube pour les bonbons Harry Potter dont la vidéo a été vue des centaines de milliers de fois. Mais la télévision reste le médium roi.
« Celui devant lequel les enfants sont souvent seuls sans adultes à leurs côtés pour décrypter », souligne Charlotte Dupuis. Et leur exposition dépasse largement France Télévision.
« En trente ans, le nombre de chaînes diffusant des programmes qui sont destinés aux enfants a été multiplié par cinq », poursuit la directrice d’ABCplus citant les chaînes Disney, Gulli, et TF1.
« Si on doit aujourd’hui supprimer la publicité environnant les programmes jeunesse, si l’on considère qu’il faut le faire au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, il faut le faire partout », estime Christian Gautellier. Il pointe même l’effet contre-productif que pourrait avoir une mesure privant de 20 millions d’euros de recettes la seule télévision publique.
« On risque d’affaiblir sa capacité à financer des programmes de qualité qui seront remplacés par programmes nord-américains dont le scénario lui-même impacte les comportements de consommation des enfants. On n’y gagnerait rien », avertit-il. Aux yeux de son association, la mesure doit s’accompagner de la mise en place d’un fonds de compensation.
3) L’enfant décide des achats
« Dans tous les actes d’achat d’une famille, de la voiture aux céréales, l’enfant est prescripteur », explique Ziad Samaha.
« L’enfant est le principal décideur dans 75% des cas pour les céréales, 69% pour les biscuits », souligne Ronan Chastellier. En cas de refus, l’enfant a même un pouvoir de harcèlement. Les experts en marketing l’appelle le
« pester power », soit le pouvoir d’éreinter, jusqu’à les faire céder, ses géniteurs.
« A l’extrême, le symptôme type, c’est l’enfant qui refuse de quitter le linéaire parce qu’il veut tel produit », explique Ziad Samaha. Le chercheur note même
« une corrélation entre le potentiel d’agacement d’un objet pour les parents et le désir qu’il suscite chez l’enfant ». Un levier insidieux sur lequel le marketing n’hésite pas à jouer. Résultat,
« les enfants se sentent investis d’un pouvoir, d’une puissance qui repose beaucoup sur le chantage affectif : et cela peut fonctionner tant que les parents voient dans l’acte d’achat une manière de faire une démonstration d’amour et de tendresse », reprend Ronan Chastellier.
4) Un problème éthique ?
Les débats font rage. Côté marketing, Charlotte Dupuis, estime que
« l’exposition des plus jeunes à la publicité et au discours des marques leur permet de construire et de cultiver leur personnalité ». Son agence créée il y a 30 ans, aime à se présenter comme une application de la pensée de Françoise Dolto :
« L’enfant est un individu à part entière, il a un avis, il faut l’écouter », résume la directrice. Un point de vue que ne partage pas du tout Christophe Gautellier :
« Un enfant n’a pas les capacités cognitives de l’adulte, donc dès qu’on le met devant ce type de message, il y a manipulation de l’esprit. »
Certaines marques, conscientes de la gêne que peut susciter le ciblage des enfants, renoncent à s’adresser à eux seuls.
« C’est ce qu’on appelle le coviewing, les marques s’engagent à communiquer en direction de l’enfant, seulement à des horaires où il est accompagné d’un adulte », explique Charlotte Dupuis.
« Les marques peuvent s’y retrouver car elles gagnent une image éthique », souligne Ziad Samaha. Quant à bannir totalement la publicité visant les enfants ? L’option
mise en œuvre au Québec et défendue par les Céméa laisse sceptique dans le monde de la publicité.
« Il restera toujours le cadeau dans le Happy meal, le gadget dans la boîte de céréales, souligne Ziad Samaha qui estime
qu’une marque trouvera toujours des leviers pour faire parler d’elle dans la cours de récré. »
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