Le cauchemar de la piscine, c’est le baigneur. Le dimanche matin, il débarque à la première heure avec ses deux mouflets, en slip et bonnet de bain, champion de la vie saine. Les mômes font semblant d’appuyer sur le bouton de la douche collective avant de courir en hurlant pour faire un grand plouf dans le premier bassin venu. On les suit, youpi ! Ces trois êtres humains constituent la première pollution dominicale de la piscine municipale. Après leur seul passage, il faudra des centaines de litres d’eau, des dizaines de grammes de chlore et des kilowattheures à gogo pour remettre d’aplomb le fragile équilibre biologique de la pistoche. « L’eau, c’est du vivant, ça demande à être réglé en permanence », explique Bernard Boullé-Giammatteï, le « Monsieur piscine » de la Direction de la jeunesse et des sports de la mairie de Paris. Car le nageur a oublié qu’il en était lui aussi constitué.
D’après l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, qui s’est penchée sur son cas, un individu seul nageant pendant une heure dans le grand bain constitue déjà une mini-marée noire. Il apporte, en vrac, les vapeurs de son déodorant, une poignée de cheveux qui dépassent, des poils plus ou moins drus, les reliefs de ses peaux mortes, un peu de morve de son nez, et, pincez le vôtre, les restes de pipi et de caca contenus dans son slip. Un nageur séjournant deux heures dans une piscine excrète entre 20 et 80 millilitres d’urine et produit entre 10 centilitres et 1 litre de sueur. Pour un chimiste, ce paquet-cadeau constitue un cocktail de carbone, d’azote et d’urée. Rien de très grave, tout se dégrade. Mais il faudra tout de même 7 grammes de chlore (dose moyenne versée par nageur) pour l’attaquer frontalement. Pour une piscine type de 25 mètres sur 15, comptez 4 000 heures d’ouverture et 130 000 personnes et faites l’addition… avant de vomir.
Chloramines toxiques
Au passage, n’oublions pas que la chimie aura eu raison de quelques saloperies transmissibles, partagées entre les couloirs. C’est sa première raison d’être. « Mais le chlore ne fait pas la différence entre les 99,9 % de matière organique normale et le 0,01 % de matière organique dangereuse, les virus et les bactéries », explique Claude Danglot, médecin biologiste et ingénieur hydrologue. Les molécules de chlore vont d’abord se combiner avec la matière organique apportée par les baigneurs et tenter de l’oxyder pour l’éliminer. Cette réaction forme de nouvelles molécules appelées « chloramines ». Alors que le chlore est inodore, les chloramines, toxiques, puent. Ce sont les responsables de la mauvaise odeur qui vous saisit quand vous entrez dans le hall, serviette négligemment enroulée sur les reins. Tant que cette odeur persiste, c’est que la réaction chimique n’est pas achevée. Il reste encore de la matière à éliminer.« C’est un signe que la piscine n’a pas été désinfectée correctement. Il s’agit d’un déficit de chlore et non d’un excès, comme tout le monde l’imagine ! », précise Claude Danglot, qui rappelle qu’un quart des agents de piscines municipales souffrent d’insuffisances respiratoires dues aux chloramines, qui peuvent également provoquer irritations oculaires et nasales.
Gardien du savonnage
L’obstacle principal à la bonne santé des bronches du maître nageur, c’est que le Français ressemble plus au Gros dégueulasse de Reiser qu’à un elfe hygiéniste. « Les baigneurs pensent qu’ils vont à la piscine pour se laver : c’est ancré dans nos représentations sociales et c’est une catastrophe », déplore Bernard Boullé-Giammatteï, qui rêve des pays nordiques où un agent est posté à la sortie des douches pour contrôler que le savonnage est réglo. Un point de vue partagé par le docteur Danglot. « La piscine, c’est soit le totalitarisme, soit le bouillon de culture : d’une manière ou d’une autre, il faut gérer chimiquement la promiscuité des gens », explique-t-il, en rappelant le risque pris à s’en passer. Un milliard de virus cohabitent en effet dans un gramme de selle de votre voisin de cabine souffrant d’un début de gastroentérite. Le cercle est vicieux : plus les gens sont sales, plus il faut de chlore pour être certain que les agents pathogènes y passeront également, corps et biens.L’absence de rigueur corporelle n’a pas que des conséquences chimiques. Pour diluer cette soupe, il faut en effet ouvrir l’eau du robinet et faire couler entre 80 et 180 litres d’eau neuve par baigneur. Vidanges, apports d’eau neuve et nettoyage des filtres : à la fin de l’année, près de 80 % de la consommation d’eau d’une piscine type est liée à l’hygiène. Sans compter que cette eau, chauffée et traitée, coûte bonbon : 11 euros par mètre cube, soit presque trois fois le coût de l’eau de ville. La différence entre une piscine où les baigneurs sont propres et le traitement, adapté, et une piscine façon cloaque mal géré peut atteindre près de 10 000 mètres cubes d’eau, soit 30 000 euros d’économie globale. Plutôt que de passer un savon au lecteur, nous le prions instamment d’en utiliser. —
Quand les plantes supplantent le chlore
Nager dans une eau sans chimie, en plein air, face au mont Blanc : c’est le choix fait par la mairie de Combloux, en Haute-Savoie, pour bâtir sa piscine municipale. Inaugurée en 2002 et surveillée comme le lait sur le feu par les services d’hygiène départementaux, elle est encore considérée comme expérimentale. Le plan d’eau, de 1 500 m2, est filtré par 14 000 plantes et la fréquentation limitée à 700 personnes par jour. La température, elle, dépend de la météo ! Alors que le principe est largement répandu en Allemagne et en Autriche, la phytoépuration demeure timide en France. A Montreuil, en banlieue parisienne, une piscine naturelle en milieu urbain devrait voir le jour en 2014. —
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions