Vous avez du mal à chausser les baskets, enfiler le maillot ou enfourcher le vélo. Pourtant « le sport c’est la santé » : ça maintient en forme, évite l’apparition de maladies, retarde la dépendance et peut même remplacer des médicaments. Vous auriez peut-être moins la flemme si votre médecin vous prescrivait des cours d’aérobic ou de marche nordique. Les prescriptions de sport – promues par le gouvernement – devraient se multiplier dans les mois qui viennent. Mais pour qu’elles se généralisent, il faudra sauter pas mal d’obstacles.
Pas tous égaux face au vélo
Quand, le 1er avril 2012, Alexandre Feltz, médecin généraliste et vice-président de la Communauté urbaine de Strasbourg, a proposé de prescrire du Vél’hop (le service de vélos en libre service de la capitale alsacienne) aux trois-quarts de Strasbourgeois qui ne pratiquent pas 30 minutes d’activité physique par jour, « certains ont cru à un poisson d’avril », se souvient-il. Pourtant, en novembre, la mairie lançait « Sport santé sur ordonnance », une expérimentation d’un an. Le bilan de cette année de vélo, marche à pied ou marche nordique prescrits à quelque 350 patients par 120 médecins de la ville sera dressé tout prochainement. Mais un premier constat a sauté aux yeux d’Alexandre Feltz : « 70% des gens à qui on a prescrit du vélo pour lutter contre les effets néfastes de la sédentarité ne savent pas en faire. »
Un chiffre révélateur des inégalités sociales face à la santé. L’Insee (l’Institut national de la statistique et des études économiques) indique que « plus le niveau de vie s’accroît, plus la pratique des activités très répandues et supposées plus accessibles – comme le vélo, la natation ou encore la marche – augmente ». « Les cadres supérieurs font plus de sport que les chômeurs ou les inactifs. On peut penser que des contraintes liées aux infrastructures (distance entre le domicile et le lieu professionnel, taux d’équipement sportif du quartier d’habitation, etc.) et aux possibilités d’accès conditionnent la fréquence et même l’existence d’une activité sportive, au détriment des ménages défavorisés », abonde le Centre d’analyse stratégique.
A Strasbourg, ces patients qui pédalent dans la choucroute sont « des personnes d’origine étrangère qui n’ont pas eu l’habitude de se déplacer à vélo ou des personnes issues des milieux les moins favorisés », explique Alexandre Feltz. Il est loin le temps où l’on voyait, à la sortie des usines, des centaines d’ouvriers rentrer chez eux à vélo. « Le fantasme de la motorisation comme nec plus ultra des modes de déplacement est encore très présent dans ces classes sociales. Qui prend le vélo aujourd’hui ? Les bobos et les classes favorisées », explique l’élu alsacien. Résultat : « Les inégalités sociales augmentent le risque de maladies, et diminuent les chances d’en sortir. »
Pour se mettre tous sur la même ligne de départ, et avec les mêmes chances d’arriver, une solution : « Imposer le sport à tout le monde », tranche Jacques Bazex, membre de l’Académie de médecine et auteur d’un rapport sur les bénéfices du sport. Cette activité devrait selon lui « être organisée par l’Etat, comme l’est le temps de travail et le temps scolaire ».
Qui va payer mon abonnement à la salle de sport ?
En améliorant la condition physique de l’ensemble de la population, la pratique du sport à grande échelle permettrait au système d’assurance-maladie de réaliser de coquettes économies. Dans le lourd document que constitue le Plan national de prévention par l’activité physique ou sportive datant de 2008, les experts ont estimé que les dépenses de santé pouvaient être réduites de 10% à 20% par la pratique régulière d’une activité physique ou sportive. Ils ont également calculé que, dans le cas utopique où tout le monde chausserait ses baskets, les économies de santé s’élèveraient à 10 milliards d’euros annuels. Et à 500 millions d’euros dans le cas où seulement 5% des inactifs le feraient.
D’après l’Imaps, société rattachée à la Mutualité française dont l’objet est de promouvoir l’activité physique et sportive, « la Sécurité sociale économiserait chaque année 56,2 millions d’euros en finançant à hauteur de 150 euros une activité physique ou sportive adaptée pour les 10% des patients souffrant de cancer, de diabète ou d’insuffisance respiratoire chronique ». Cette préconisation figure dans le rapport de Jacques Bazex.
En l’absence de prise en charge par l’Assurance maladie, les mutuelles et assurances commencent à s’engouffrer dans ce qui pourrait devenir un nouveau marché. Et vont, pour certaines, proposer dès janvier 2014 des forfaits pour les seniors incluant la prise en charge de l’abonnement à la salle de sport, nous indique Laurent Guetard, de l’Imaps. Selon lui, un autre acteur pourrait intervenir dans le financement du sport santé : le conseil général. « Faire du sport retarde la dépendance des seniors, or ce sont les conseils généraux qui versent les allocations perte d’autonomie. Donc si le sport était prescrit en prévention primaire, la collectivité en profiterait. »
Mettre les médecins au sport prend du temps
Reste un problème, de taille : les médecins, pas formés au sport, ne savent pas toujours vers quelle activité orienter leurs patients. Pour remédier à cela, les doyens des facultés de médecine et de Staps (Sciences et techniques des activités physiques et sportives) ont signé en octobre 2012 une convention pour la création de modules en commun. Vincent Alberti, qui a mené ce projet de convention alors qu’il travaillait à la direction générale de la Santé, explique que « neuf sites pilotes expérimentent la construction en commun de modules par des professeurs de médecine et de Staps, qui les dispenseront conjointement. Le but est de favoriser les échanges entre futurs professionnels. Le système sera institutionnalisé à la rentrée 2014 ».
Dans certaines régions, cela fait des années que les toubibs sont sensibilisés au sport comme prescription primaire (pour prévenir la survenue de maladies), secondaire (pour lutter contre les méfaits de la sédentarité) et tertiaire (pour soigner). C’est le cas en Midi-Pyrénées. Depuis 2004, l’association Efformip a formé, lors de sessions communes, 250 médecins à la prescription d’APS et 490 éducateurs sportifs à l’encadrement de porteurs de pathologies chroniques (obésité, diabète, hypertension artérielle, ostéoporose, etc.) A ce jour, 1 200 patients y ont bénéficié de sport sur ordonnance et d’une prise en charge de leur abonnement sportif à hauteur de 120 euros sur neuf mois (donateurs privées, agence régionale de santé et conseil régional ont mis la main à la poche). Et il paraît qu’ils s’en portent très bien.
Affichage : Voir tout | Réduire les discussions