Dans cette lettre (cliquez ici pour afficher le PDF), Henri Proglio veut bien concéder qu’un « accident nucléaire d’ampleur menace » le Japon. Mais le président s’alarme surtout de voir le débat sur la sécurité du nucléaire civil ainsi rouvert. « De multiples voix se font déjà entendre, parmi les politiques et les associations, demandant un moratoire, voire “l’arrêt du nucléaire’” », constate-t-il, sans pour autant faire état du moratoire décidé hier par l’Allemagne sur l’allongement de la « durée de vie » des centrales nucléaires.
Le PDG d’EDF appelle donc ses salariés à se mobiliser et déroule l’argumentaire qu’il conviendra d’exposer aux « amis, voisins » et « familles » qui interrogent.
1. D’abord, une organisation « rigoureuse », à la nippone, pourrait-on dire, de prévention des risques et « des processus de sécurité très stricts » réévalués en permanence. 2. Ensuite, la chance de vivre en France, en quelque sorte, avec des probabilités de catastrophes naturelles « sans commune mesure » avec le Japon. 3. L’application d’un principe de précaution quasi millénariste : « La référence de séisme retenue par EDF pour ses centrales nucléaires est, a minima, deux fois plus importante que le plus grave séisme relevé en mille ans dans les régions où elles sont implantées. » Mille ans nous contemplent, donc, et nous rassurent. 4. Le contrôle vigilant de l’Autorité de sûreté nucléaire avec « plus de 450 visites et contrôles par an ». 5. Des investissements massifs en maintenance et entretien : 2 milliards d’euros par an.
Pour autant, ajoute le président d’EDF, « l’humilité autant que la responsabilité restent de rigueur ». Et l’électricien promet de tirer les leçons de la « tragédie japonaise ». On s’interroge d’ailleurs, en lisant le président, sur l’extraordinaire incompétence des Japonais qui ignoreraient, croit-on comprendre, tout ou presque des principes évoqués ci-dessus...
Muni de ce petit viatique, les salariés d’EDF seront-ils convaincus ? Ceux qui travaillent sur les sites nucléaires n’ont cessé depuis deux ans de tirer la sonnette d’alarme sur la baisse des investissements, le relâchement de la sécurité, les dangers multiples auxquels sont confrontés des sous-traitants de plus en plus nombreux et qui assurent près de 80% des travaux sur sites. Notre consœur Martine Orange avait publié une enquête éclairante à ce sujet : EDF, les salariés du nucléaire entrent en fusion.
En 2009, la tension monte entre la direction d’EDF et les salariés des centrales nucléaires. Alors que des mouvements de grève désorganisent la production et la maintenance des sites, EDF a décidé de réquisitionner les salariés grévistes. Ce conflit marque une rupture dans la tradition de l’entreprise publique. Au-delà des revendications salariales, les travailleurs du nucléaire sont inquiets sur l’évolution de leur métier, la montée d’une sous-traitance qui assume 80% des tâches dans les sites. Les appétits financiers qui s’expriment autour du parc nucléaire français les angoissent.
Henri Proglio n’évoque pas plus les problèmes de vétusté et de faible disponibilité du parc nucléaire français. Nous avions ainsi publié une enquête sur l’une des plus anciennes centrales, celle de Fessenheim, et ce qu’en disait par exemple Corinne Lepage : « c’est une centrale dont les normes sont complètement dépassées : depuis 1977, aucune de ses autorisations n’a été modifiées. De telle sorte qu’il n’y a aucune limitation pour les rejets chimiques liquides. Et en ce qui concerne les rejets radioactifs liquides et gazeux, les normes qui les contraignent sont totalement dépassées et obsolètes ». Extrait audio de l’interview de Corinne Lepage évoquant « une centrale hors-normes »
L’été 2008 fut également une série noire pour EDF, avec la multiplication d’incidents, comme au Tricastin. Enfin, les compétences et la « combativité » de l’Autorité de sûreté nucléaire sont régulièrement contestées.
Cet article a initialement été publié sur le site de Mediapart.
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