On pensait le dossier classé, la question tranchée. Depuis le 13 juillet 2011 et la loi sur l’interdiction de la fracturation hydraulique, on croyait cette technique définitivement boutée hors de l’agenda politique. Et l’extraction du gaz de schiste sur le territoire français désormais conditionnée à l’invention d’une nouvelle technique. Ce mercredi, la ministre de l’Ecologie Delphine Batho avait même réaffirmé, face à Laurence Parisot sur BFM TV, son refus catégorique d’assouplir la loi. Mais la publication, le lendemain, d’un rapport d’étape de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), a ravivé le débat.
Celui-ci recommande une révision de la loi de 2011 pour financer la recherche sur la fracturation hydraulique et autoriser l’exploration. Les rapporteurs du texte, le sénateur UMP Jean-Claude Lenoir et le député PS Christian Bataille, n’ont jamais caché leur enthousiasme face aux réserves d’énergie made in France qui pourraient dormir sous nos pieds. Selon leurs chiffres, tirés des calculs de l’Agence internationale de l’énergie mais « dont la probabilité associée n’est pas connue », celles-ci pourraient « approvisionner la France en gaz naturel pour 30% de ses achats pendant trente à quarante ans ». Dans ces circonstances, Christian Bataille estime que « la fermeté du gouvernement (à maintenir la loi de 2011, ndlr) tient de l’obscurantisme ».
« La fracturation hydraulique : seule alternative crédible »
A l’origine, pourtant, l’étude lancée en janvier dernier après une saisine du Sénat devait porter sur les « alternatives à la fracturation hydraulique ». Mais à la lecture du rapport, surprise : le texte d’une centaine de pages en consacre vingt à légitimer... la fracturation hydraulique. L’argument principal ? En deux ans « la technique a beaucoup évolué sous l’effet de considérations environnementales partagées », assurent les rapporteurs avant d’ajouter qu’« elle reste à ce jour la seule alternative crédible ». Alors dans un chapitre intitulé « une technique maîtrisable », les craintes des défenseurs de l’environnement sont une à une balayées.A commencer par l’introduction de produits chimiques dans les sous-sols et les nappes phréatiques. Pour garantir que l’eau injectée sous très haute pression libère un maximum de gaz en brisant les roches – principe de la fracturation hydraulique – des produits de type biocides, corrosifs, acides et tensioactifs y sont ajoutés. A propos de leur impact, le député Christian Bataille relativise, « compte tenu de l’avancée des recherches, il sera bientôt moins polluant d’utiliser la fracturation hydraulique que de déboucher un évier », assure-t-il.
Utiliser un épaississant alimentaire vendu dans les magasins bios
Le rapport de l’OPECST indique en effet que les entreprises sont capables de réduire la quantité de ces produits à une proportion de l’ordre de 0,15% à 0,25% du mélange. « Mais lorsque qu’on parle de milliers de mètres cubes, ces dixièmes de pourcentage comptent », souligne Pierre Arnoult, référent du Collectif Var contre le gaz de schiste.Qu’importe, rétorquent les rapporteurs, « la fracturation peut se concevoir uniquement avec des produits ménagers peu ou pas toxiques ». La vedette ? La gomme de guar, un épaississant alimentaire vendu parfois comme coupe-faim dans les magasins bios. Selon les entreprises auditionnées, elle pourrait remplacer l’une des catégories de produits toxiques. « Evidemment, toute médaille à son revers, soupire Christian Bataille, concernant la gomme de guar, il pourrait y avoir une concurrence d’usage avec les populations qui l’utilisent comme nourriture, on va évidemment considérer cette question », assure le député. Mention étonnante du député, puisque le guar est en fait principalement un aliment pour le bétail.
Pas plus de vibrations que le passage d’un camion
Pour enfoncer le clou, et au risque de contredire les études de toxicologie du groupe TEDX et les observations du site américain Fracfocus, le rapport cite en exemple la fracturation propre mise au point par le pétrolier américain Halliburton et passe en revue ses composants. Au menu : des produits similaires à ceux trouvés dans les jus de fruits, le blanc d’œuf et les chocolats de glaçage, donc complétement inoffensifs pour l’environnement. Le système ne concerne cependant que 32 puits sur les centaines de milliers existants.Enfin, avec l’installation de barrières d’étanchéité composées de cercles concentriques en acier, « il n’y a de toute façon aucune chance que les produits chimiques se retrouvent dans les nappes phréatiques », assure Christian Bataille. Sur la longévité de ces structures, pourtant, rien n’est mentionné.
Reste les quantités d’eau utilisées. Celles-ci représentent entre 10 000 et 20 000 m3 pour une seule fracturation. Qu’à cela ne tienne rétorque le rapport. D’abord « il ne s’agit pas nécessairement d’eau potable » et puis les industriels auditionnés assurent être en mesure de recycler 30% à 50% des volumes initialement utilisés. Concernant les risques de sismicité du procédé, même sérénité « exceptionnellement, l’événement peut atteindre une magnitude de 3 qui équivaut aux vibrations d’un camion », tempère le rapport.
Les pratiques vertueuses coûtent cher
Tant d’enthousiasme laisse les associations abasourdies. « Pour les phases de recherche, on veut bien croire que les industriels soient capables de faire de l’extraction propre et sans danger », concède Pierre Arnould, du collectif Var « mais une fois que la porte sera ouverte, quelles seront nos garanties sur la transposition de ces pratiques à l’exploitation industrielle ? »Les auteurs du rapport le reconnaissent, les pratiques vertueuses coûtent cher. Ainsi, le mélange aux allures de recette de cuisine mis au point par Halliburton, « représente un surcoût par rapport aux techniques traditionnelles, ce qui limite son utilisation », reconnaît le rapport. De quoi plomber la compétitivité du secteur ? « Une fois que tous les coûts de ces garde-fous auront été intégrés, ce sera aux entreprises de faire leurs calculs », élude Christian Bataille. Son collègue sénateur, lui, ne se fait aucun souci, « au prix actuel du pétrole, même propre et encadrée, la fracturation hydraulique restera rentable ». Pour Jean-Claude Lenoir, le temps « des forages amateurs qui ont poussé à l’élaboration de la loi de 2011 » est révolu.
La parole aux industriels
« Ce rapport est stupéfiant, on est face à un discours de lobbyiste », s’emporte Alain Roubineau, membre des collectifs contre le gaz de schiste, une coordination sans représentants nationaux. Même critique du côté de France Nature Environnement : « La parole n’a été donnée qu’aux industriels et aux groupes de recherche, qui tous deux ont intérêt à l’autorisation de l’exploration », soupire Benoît Hartmann, porte-parole de l’association. Sur des centaines d’interlocuteurs auditionnés, seule une poignée d’associations a été consultée, « mais nous n’en retrouvons pas la moindre trace dans le texte ».La question des émissions de gaz à effet de serre, liée à l’exploitation du gaz de schiste, est à peine évoquée. « Les associations et nous ne parlons pas le même langage, se justifie Christian Bataille, nous essayons de trouver des solutions d’extraction propre, tandis qu’elles rejettent en bloc l’exploitation. » En effet, plutôt que de faire de la prospective sur les capacités du génie industriel français à maîtriser la fracturation hydraulique, les associations auraient préféré un état des lieux des déboires de l’exploitation du gaz de schiste de la Pologne aux États-Unis. C’est la prochaine étape assure Christian Bataille. Mais pour Alain Robineau, les dés sont déjà pipés « car à moins de mettre des régions entières sous cloche, la fracturation hydraulique ne peut être maîtrisée ».
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