Jusqu’ici, tout va bien. En ce mois d’avril 2015, le niveau des réserves françaises d’eau souterraine est normal, voire supérieur à la normale dans 83% des réservoirs. Cet hiver, la recharge des nappes phréatiques a tenu ses promesses. Et, même si pour cet été « rien n’est joué », selon l’hydrologue Philippe Vigouroux, pour l’heure la France n’a pas à craindre la sécheresse. Oui, mais demain, lorsque les températures du globe auront grimpé de 2°C sous l’effet de nos gaz à effet de serre ? Dans cinquante ans, les hydrologues du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), le service de géologie nationale, afficheront-ils la même sérénité ? En se basant sur les scénarios du quatrième rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), une équipe de recherche du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) s’est échinée à anticiper les conséquences du changement climatique sur les nappes phréatiques. Pour appréhender les premiers enseignements de leur projet baptisé Explore 2070, trois chiffres donnent le ton.
10% à 25% d’eau en moins pour recharger les nappes
De septembre à avril, lorsque la végétation est en sommeil, que ses besoins en eau sont au plus bas, les nappes phréatiques se rechargent en absorbant une grande partie des précipitations. C’est sans compter l’évapotranspiration – l’évaporation de l’eau de pluie qui touche le sol – et la transpiration des végétaux, un double phénomène qui renvoie une partie des précipitations directement dans l’atmosphère. Or, si les températures grimpent comme le Giec le prévoit, cette quantité d’eau qui repart sans s’infiltrer grimpera de 10% à 15%. Une perte sèche pour les nappes phréatiques. A ce premier impact devrait s’en ajouter un autre : des pluies moins abondantes. « La réponse des phénomènes de précipitations au réchauffement sera très contrastée, le Bassin méditerranéen pourrait connaître des épisodes de fortes pluies, et le Nord et le Sud-Ouest pourraient s’assécher », explique Florence Habets, directrice de recherche au CNRS chargée du projet Explore 2070. En bout de course, il faudra donc composer avec moins de « pluie efficace », celle qui recharge nos réserves souterraines. En moyenne, la recharge de nos sous-sols sera 10% à 25% moins abondante en 2070 qu’aujourd’hui, et jusqu’à 30% à 50% dans les zones les plus touchées, comme le Sud-Ouest.
En 2070, le niveau baissera peut-être de 10 mètres
Résultat, dans nos sous-sols, le niveau des nappes phréatiques – le « niveau piézométrique », pour les experts – va chuter. Les plaines, comme celles duPoitou ou de l’Aquitaine, devraient être relativement épargnées avec entre 0,5 et 1 mètre en moins. Mais sur les plateaux, cette baisse du niveau de l’eau dans les sous-sols pourrait atteindre 10 mètres ! C’est autant de ressources dans lesquelles la France ne pourra pas puiser. Or, sur ses 100 milliards de mètres cubes de réserves souterraines, le pays prélève en 34 milliards chaque année pour couvrir 60% de ses besoins en eau potable mais aussi pour ceux de l’industrie et de l’agriculture. Plus rare, l’eau sera aussi plus concentrée en polluants. « Le taux de pesticides et de nitrates évolue en fonction de la quantité d’eau dans les aquifères », explique Florence Habets. Un phénomène qui risque de se renforcer, « car les nappes sont connectées aux rivières », précise la chercheuse.
Jusqu’à 40% de débit en moins dans les cours d’eau en été
La baisse des réserves en eau de nos sous-sols aura des conséquences sur le flux de nos cours d’eau. En période d’étiage, c’est-à-dire les mois les plus chauds, fleuves et rivières pourraient voir leur débit réduit de 40%. « Les impacts, en particulier estivaux, seront considérables », confirme Florence Habets. De manière très localisée, certaines rivières pourraient perdre jusqu’à 70% de leur débit. L’ennui, c’est que les agriculteurs irrigants ont besoin de ces volumes pour le maintien de leur activité. Les barrages et les bassins de stockage pourraient donc se multiplier. « Mais prélever en hiver n’est pas sans impact », met en garde Florence Habets. Outre l’agriculture, plusieurs activités, comme l’industrie, le transport fluvial et le refroidissement des centrales nucléaires, dépendent du débit des cours d’eau. « Continuer les prélèvements ou les augmenter dans certaines régions ne sera pas durable », conclut la chercheuse. En se penchant sur l’impact du climat, les experts notent également un risque de substitution de l’eau douce par l’eau salée. « Cette salinisation peut progresser très largement à l’intérieur des terres », indique Serge Lallier, directeur adjoint eau-environnement au BRGM. Les habitants du littoral, surtout pourraient manquer d’eau douce. A la vôtre !
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