Jugé « trop coûteux » ou « pas rentable » par ses détracteurs, le projet de LGV Lyon-Turin semble battre de l’aile. L’été dernier, la Cour des comptes le réévaluait à 26,1 milliards d’euros. Le rapport Duron, rendu la semaine passée au gouvernement, a franchi une étape supplémentaire en repoussant après 2030 la construction des accès au tunnel franco-italien (1). Sans s’occuper du tunnel lui-même. En clair, le projet semble patiner.
Et pourtant. La même semaine, Lyon-Turin Ferroviaire (LTF), le promoteur du projet, lançait une opération de communication intitulée « Nous sommes sur la bonne voie », dans dix quotidiens français et italiens et leurs sites Internet respectifs : (Le Monde, Le Figaro, L’Equipe, Le Dauphiné Libéré / La Repubblica, La Stampa, Il Corriere della Sera, Luna Nuova, La Val Susa). Coïncidence ? Certainement pas.
« Répondre rapidement et de manière forte »
Chez LTF on ne s’en cache pas : « Il s’agissait de répondre aux critiques, de réagir rapidement et de manière forte. » Alors que la presse titrait sur la fin du tout TGV, la filiale de Réseau Ferré de France (RFF) et de son homologue italien Rete ferroviaria italiana (RFI) s’offrait donc quelques encarts publicitaires. Parallèlement, le 25 juin, les dirigeants de LTF cosignaient une tribune explicative sur Lemonde.fr. Rien à voir, selon le service de communication de LTF, même si les deux actions vont « dans le même sens ».Dans quel sens ? « Contrecarrer les gens qui sont contre, informer le public puisque les avis sont 8 fois sur 10 négatifs », explique un membre de l’agence W cie qui a remporté au début du mois de juin l’appel d’offres pour réaliser la publicité.
Entre « 500 et 300 000 euros »
« Campagne d’information », selon LTF. « Campagne de pub », rétorque Daniel Ibanez, de la coordination française des opposants au projet. « De quel droit, et avec quel argent, une société chargée de faire des études, de donner des avis techniques pour lancer un chantier, fait-elle de la pub ? »Le droit, LTF l’a. Une Société par action simplifiée (Sas), peut, comme nous l’ont précisé trois avocats, communiquer sur son activité. Le problème, c’est que le Lyon-Turin risque de coûter plus de 26 milliards d’euros et que les caisses sont vides. Alors à combien se chiffre cette petite opération de « bonne voie » ? « Rien de pharamineux ! Ce que je peux dire c’est que ce n’est ni 500 euros, ni 300 000 », annonce Jean Chateauminois de l’agence Havas média Lyon, chargé de l’achat des encarts publicitaires pour cette campagne.
Havas comme Lagardère métropoles – l’opérateur chargé de trouver des solutions publicitaires adaptées en région – n’ont pas souhaité livrer le coût de la campagne. « C’est confidentiel », selon Lagardère à Lyon. « Selon la grille tarifaire », précise malgré tout le service publicité du Monde.
Il se trouve que certaines des grilles tarifaires sont consultables (voir les documents ci-dessous). Et que la communication de LTF confirme que même si elle parle de « campagne d’information », celle-ci est « passée par les canaux habituels de l’achat d’espace publicitaire ».
- Le Figaro : 24 juin, ½ page en page 7 = 67 000 euros
- L’Equipe : 24 juin, ½ page en page 5 = 65 100 euros
- Le Monde : 26 juin, ½ page en dernière page = 81 000 euros
Calcul rapide, rien que pour une demi-page dans chacun de ces trois titres, le coût de la campagne d’information s’élèverait donc à 350 296 euros... Et oui, il s’agit bien des montants pour une publicité diffusée pendant une seule journée, assure Isabelle Fredriksson, des Tarifs de la presse 2013. Mais le quotidien italien La Repubblica apporte une précision :« En Italie, vous pouvez retirer 50% aux montants indiqués sur les grilles tarifaires. Les journaux étaient censés réajuster les chiffres affichés mais ils ne se sont pas mis d’accord. »
Ces chiffres ne sont donc donnés qu’à titre indicatif, Jean Chateauminois n’ayant plus décroché son téléphone après nos calculs. Et parce qu’en France aussi, pour s’approcher de la réalité, il faut revoir les prix à la baisse. Il n’a, de plus, pas été possible de trouver les tarifs des autres journaux, ni le montant des prestations des différentes agences impliquées dans la confection et la diffusion du visuel. Sachant que nous ne prenons ici en compte que trois des dix quotidiens et non leurs sites Internet (dont les tarifs publicitaires sont dérisoires), Havas a dû sacrément bien négocier pour être en dessous des 300 000 euros annoncés par son chargé d’achat. Mais trêve de calculs, dans le fonds, que dit la communication ?
9 km de galeries ?
Pour Daniel Ibanez, la pub de LTF a un travers bien familier. C’est comme de dire : « Faites le plein d’énergie avec tel yaourt, ça n’a aucune portée informative. L’information serait de donner la valeur énergétique, le nom des vitamines... »
« Plus de 9 km de galeries déjà excavées », voilà en réalité le seul chiffre dispensé par le petit texte informatif. 9 km du tunnel dit « de base » déjà creusés ? Pas tout à fait. Il s’agit de galeries de reconnaissance, de galeries exploratoires. D’une part parce qu’il s’agit de travaux lancés par LTF, chargé des études et travaux préalables et non des « vrais » travaux. D’autre part, parce que les autorisations ne sont pas encore délivrées. L’accord signé le 30 janvier 2012 à Rome « vise notamment à encadrer les conditions de passation et d’exécution des contrats et marchés du futur promoteur public qui sera chargé de conduire les travaux définitifs ». Cet accord devait être validé en Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale en juillet. Selon le secrétaire de ladite Commission, il devrait finalement l’être en septembre prochain.
Et le trafic de fret ?
Quant aux chiffres du trafic de fret, objet de la discorde entre pro et anti, la publicité précise : « La nouvelle liaison Lyon-Turin permettra de transporter l’équivalent des volumes de fret qui s’échangent chaque année avec l’Italie, second partenaire commercial de la France. La ligne actuelle sera de moins en moins adaptée pour traiter ces échanges. »
Pour Daniel Ibanez pourtant : « Il n’y a pas de saturation des accès existants donc pas de nécessité de construire un nouveau tunnel. Si c’est de la pub, elle est mensongère. » Les chiffres sont consultables et font effectivement apparaître un recul. Depuis le mois de janvier, une baisse du trafic de poids lourds, tant par le tunnel de Fréjus que par celui du Mont Blanc, est visible.
- Fréjus : entre - 0,85% et - 6,54% entre janvier et juin 2013 par rapport aux même mois de l’année précédente.
- Mont Blanc : entre 2011 et 2012, le nombre de camions a diminué : de 605 955 à 580 978.
En attendant que les travaux commencent – ou pas –, le train virtuel continuera de traverser l’écran du site LTF.
Trois dates :
26 juin : Publication de la publicité dans Le Monde
27 juin : Remise du rapport Duron de la Commission Mobilité 21
30 juin - 1er juillet : Parution de l’article « Les nouvelles frondes locales contre des projets jugés inutiles » dans Le Monde
(1) Le tunnel franco-italien devrait être l’ouvrage principal de la nouvelle liaison Lyon-Turin avec ses 57 km de longueur. Il est aussi appelé tunnel de base. D’autres tunnels permettront la jonction de celui-ci avec les deux villes.
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