Stéphane Hallegatte est économiste et chargé de mission à la Banque Mondiale.
Terra eco : Dans un rapport publié lundi 19 novembre, la Banque mondiale alerte sur le risque d’un réchauffement de la planète de 4 degrés. Faut-il en conclure que l’objectif qui prévalait jusque-là, à savoir ne pas dépasser un réchauffement de « seulement » 2 degrés, n’est plus atteignable ?
Stéphane Hallegatte : Cet objectif est effectivement très mal embarqué. Même si l’ensemble des pays a reconnu collectivement ce plafond à ne pas dépasser, la somme des efforts individuels mis en place ne permet pas d’y arriver. Il faudrait que les émissions de gaz à effet de serre commencent à décroître à l’échelle de la planète dès 2020 pour ne pas dépasser la barre des 2 °C de hausse de la température, or nous sommes aujourd’hui dans une tendance de nette hausse des émissions. Si bien que nous nous orientons aujourd’hui vers un réchauffement de 3,5 à 4 degrés à l’horizon 2100.
A quoi ressemblerait un monde plus chaud de 4 °C ?
Il faut d’abord noter que c’est un monde que l’on connaît mal. Aller vers un monde à +4 °C, c’est aller vers l’inconnu car plus le réchauffement est important, plus ses conséquences sont difficiles à anticiper.
Le rapport publié ce lundi liste les impacts qui sont déjà connus, notamment des vagues de chaleur bien plus fréquentes. Une canicule comme celle de l’été 2003, considérée aujourd’hui comme une exception, risque de devenir un été normal d’ici à la fin du siècle. Ce rapport montre aussi que ce sont les pays les plus pauvres qui seront les plus touchés, notamment les pays tropicaux. Le réchauffement climatique ne pose donc pas seulement un problème environnemental, c’est aussi un obstacle au développement économique et à la lutte contre la pauvreté. A l’inverse, les mesures permettant de limiter le réchauffement climatique sont aussi des mesures qui permettent le développement économique,
comme nous l’avions montré dans un précédent rapport en mai 2012.
Quelles sont ces mesures qui s’imposent ?
Il faut privilégier les actions qui sont positives à la fois pour lutter contre le changement climatique et contre la pauvreté. Je pense notamment à supprimer les subventions à la consommation d’énergie. Il y a, dans les pays en développement, plus de 1 000 milliards d’euros de subventions de ce type chaque année qui favorisent le gaspillage et sont principalement versées aux plus riches. Il faut les supprimer. Je pense aussi à la possibilité d’amener l’électricité par réseau à des gens qui n’en ont pas et qui utilisent des générateurs au diesel ou des piles.
Le point de vue de la Banque mondiale à ce sujet est clair. Elle a augmenté ses investissements dans les énergies renouvelables, et cherche à privilégier ces sources d’énergies. Mais dans certains cas, quand les énergies renouvelables sont très chères et qu’il y a des problèmes d’accès, il arrive que la Banque Mondiale subventionne du charbon. Toutefois, il faut rappeler ce qui est urgent dans les pays en développement. Si l’on construit une centrale à charbon pour aider une région, on pourra la remplacer à terme par d’autres sources d’énergie. Mais si l’on laisse les villes s’étendre et s’organiser autour du transport en voiture, on ne pourra plus revenir en arrière. L’urgence est donc de développer de manière raisonnée les infrastructures et notamment les transports en commun.
Toutes les mesures que vous citez concernent les pays dits en voie de développement. Quelles sont celles que vous préconisez pour les pays dits développés ?
Les pays développés ont effectivement un immense rôle à jouer. J’aime rappeler certains ordres de grandeur sur ce sujet. Pour compenser les émissions de gaz à effet de serre entraînées par la fourniture d’électricité aux 1,3 milliard d’êtres humains qui en sont privés aujourd’hui, il suffirait d’imposer au parc de véhicules américains les mêmes normes que celles qui sont appliquées en Europe. Le potentiel d’action est énorme dans les pays développés, notamment via des normes plus strictes, une fiscalité environnementale et une augmentation du coût de l’énergie.
Cette conférence comporte deux volets. Le premier doit permettre de préserver ce qui existe aujourd’hui, c’est-à-dire le protocole de Kyoto. Celui-ci a été critiqué mais il comporte des outils efficaces. Le second volet doit nous amener à préparer le successeur de Kyoto, qui sera acté en 2015. Les résultats de Doha ne seront pas spectaculaires, mais seront très importants.
On sent un énorme décalage entre les faibles attentes pour cette conférence et l’urgence que vous décrivez. Il faudrait avoir changé d’ère en 2020, et pourtant les premières décisions ne devraient venir au mieux qu’en 2015…
C’est tout le problème de cette course contre la montre. Aujourd’hui, nous vivons des avancées majeures, que ce soit dans la prise de conscience du problème comme au niveau technologique. Mais ces avancées sont-elles assez rapides ? La lenteur du processus onusien doit nous inviter à agir sans attendre un éventuel accord international parfait. Et en Chine, en Afrique du Sud, aux Etats-Unis les choses bougent déjà.
Et en France ?
La France se cherche aujourd’hui. La question de la fiscalité environnementale a été mise sur la table, sans plus de précision, il est donc assez difficile de se prononcer. La France n’a pas à s’autoflageller, mais de gros efforts s’imposent pour engager la bifurcation. La France a par exemple identifié un énorme problème d’étalement urbain sans pour autant prendre les mesures qui s’imposent. Il faut pourtant montrer la voie : il n’y aura d’accord international sur le climat en 2015 que si les pays riches font leurs preuves d’ici là, en montrant qu’ils travaillent et qu’ils réussissent.
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