Adieu paysans travaillant aux champs, place aux agriculteurs pianotant sur écran. Pour qui déambule dans les allées du Salon international du machinisme agricole (Sima), à Villepinte (Seine-Saint-Denis ), les tableaux de Pissarro prennent un méchant coup de vieux. A côté de stands exhibant des pneus de tracteurs plus hauts que leurs vendeurs, des élèves en lycée agricole se massent autour de présentoirs de GPS. A l’étage, dans une salle avec vue sur un parterre de moissonneuses-batteuses dernière génération, on parle innovations.
Un appareil appuyé au pied de l’estrade attire tous les regards. A peine plus gros qu’un avion télécommandé, le robot de la société Airinov est la vedette du colloque « Drones : un vecteur de progrès pour l’agriculture », qui se déroule ce matin-là. La France a beau être le pays d’Europe le plus en pointe dans le domaine des « agridrones », le secteur reste confidentiel. Et pour cause : formation, capteurs et logiciels inclus, ce bijou technologique coûte 28 000 euros. « Jusqu’à présent, au maximum 5 000 des 75 000 agriculteurs en grandes cultures ont fait passer un drone au-dessus de leurs champs », estime Romain Faroux, cofondateur d’Airinov, qui détient 80% du marché français.
Cartographier les herbes indésirables
Des débuts timides et pourtant… Parmi la centaine de curieux présents, chercheurs, ingénieurs et agriculteurs sont convaincus du potentiel de l’appareil. « Dans les années à venir, ça va pulluler », s’exclame Alain Waymel, directeur de la chambre d’agriculture de la Somme, heureuse propriétaire de deux drones à usage agricole. « Leur utilisation va devenir indispensable pour détecter, sur une plante, les symptômes d’une maladie », affirme Frédéric Baret, chercheur à l’Inra (Institut national de la recherche agronomique). Grâce à la précision millimétrique de ses mesures, le drone permettra aussi de cartographier les herbes indésirables. Dans l’Aube, Jean-Baptiste Bruggeman, patron et unique employé d’une exploitation de 210 hectares, a adopté l’engin pour une troisième raison : « sur une même parcelle de blé ou de colza, il permet de mesurer les différences de besoins en azote ». En transmettant, via une carte mémoire, les informations ainsi récoltées à son tracteur, il ajuste les doses de fertilisant pulvérisé. « Je vais rassurer les vendeurs d’engrais : l’objectif, ce n’est pas de faire des économies d’azote, mais d’optimiser les rendements », reconnaît l’exploitant. Jusqu’à présent, personne n’a prononcé le mot : « environnement ».
« Les yeux, les bras et la mémoire de l’agriculteur »
Après l’essor de Farmstar, une technologie qui permet l’observation des parcelles par satellite, les drones pourraient donc à leur tour devenir les yeux des paysans. « Le drone fait la même chose que vous, mais il le fait partout », clame la société Airinov sur son site Internet. Au Japon, ces robots ne se contentent pas de collecter des données, ils pulvérisent des pesticides de manière localisée. Ainsi, pour le meilleur et pour le pire, la robotique, entrée dans les salles de traite dans les années 1990, gagne aujourd’hui les champs.
« Notre machine, c’est à la fois les yeux, les bras et la mémoire de l’agriculteur », s’enthousiasme Charles Adenot, responsable marketing de la société Carré. Sur le stand de ce spécialiste des outils de binage, on ne parle plus de drones ni de culture céréalière. Le robot de 800 kg aux airs de scarabée géant qui se dresse devant nous est destiné aux maraîchers. Alimenté à l’électrique, muni de caméras et de GPS, l’appareil, repéré par le jury du palmarès de l’innovation du salon, est conçu pour déambuler seul entre les rangs de salades. Sa mission : retirer les mauvaises herbes et collecter des données. Cette machine – baptisée Anatis, du nom d’une cousine de la coccinelle – est présentée comme un « outil d’agroécologie » puisqu’« en mécanisant le désherbage elle limite l’usage de produits », souligne Charles Adenot. Son principal intérêt consiste surtout à « faire gagner du temps à l’exploitant sur des tâches sans valeur ajoutée et pour lesquelles on ne trouve pas de main-d’œuvre », ajoute le responsable marketing.
« J’imagine un tracteur qui ira se balader tout seul dans les champs »
Devant les perspectives ouvertes par Anatis, les yeux des céréaliers scintillent. Charles Adenot tempère : « ils sont beaucoup à s’arrêter sur le stand, mais pour l’instant, un robot de ce type n’est pas destiné aux grandes cultures ». L’enthousiasme de Jean-Baptiste Bruggeman reste intact. « Ce que j’imagine plutôt, c’est un tracteur qui ira se balader tout seul dans les champs », explique l’agriculteur. Techniquement, son rêve est à portée de main. L’assistance automatique, qui permet à l’exploitant de rouler sans toucher le volant, existe depuis le début des années 2000. « Aujourd’hui, un tracteur est même capable de faire demi-tour tout seul », souligne Michel Berducat, chercheur à l’Irstea (Institut de recherche en sciences et techniques de l’environnement et de l’agriculture). « Le problème, c’est qu’on est en milieu ouvert et, pour des raisons de sécurité, on ne peut pas se passer de la présence de l’agriculteur ». En 2002, le mastodonte de la machinerie agricole, John Deere, invente une parade à ce problème : un binôme de tracteurs, l’un avec chauffeur (le maître) et l’autre vide (l’esclave), qui réagit au parcours du premier. « Le développement de plusieurs machines qui agissent en même temps, avec un agriculteur à bord de l’une d’entre elles, c’est ce vers quoi on tend pour gagner en productivité », estime Michel Berducat. A défaut de quitter le champ, l’exploitant peut s’équiper pour y passer un minimum de temps.
« Vous voyez, c’est écologique ! »
A quelques embardées de la bineuse télécommandée se dresse une sorte de grue à l’horizontale, reliée à un réservoir de 8 000 litres. Entrelacs de ferraille et de câbles électriques, ce pulvérisateur de 32 mètres de long peut asperger les champs, tantôt de pesticides tantôt de fertilisants. « Certains font même 50 mètres de long, mais ça pose alors le problème de stabilité », explique l’un des vendeurs de la société Horsch. Egalement bardé de capteurs, ce géant détecte lui-même les endroits où il est déjà passé et se retient d’asperger. « Vous voyez, c’est écologique ! », s’exclame le représentant commercial, arguant que cette machine, elle aussi primée, limite également les allers-retours. « Notre mission, c’est de répondre au plus près aux attentes des agriculteurs, précise-t-il. Et aujourd’hui, ce que recherche l’agriculteur, c’est de passer le moins de temps possible dans ses champs. »
« Quand, en viticulture, un opérateur traite des dizaines d’hectares secoué sur une chenillette qui pulvérise des produits à moins d’1,50 mètre de son visage, on se dit que ce n’est pas un mal de le mettre à distance », estime Michel Berducat. Libéré de ces tâches laborieuses, cet agriculteur aura tout le loisir de scruter les données que son panel d’outils d’aide à la décision – GPS, caméra infrarouge 3D et capteurs – aura envoyé sur son smartphone. « Notre métier devient celui d’un analyste, c’est stimulant », se réjouit Jean-Baptiste Bruggeman. L’image d’un agriculteur- ingénieur-entrepreneur qui, depuis sa tour de contrôle, surveille ses champs sur plusieurs écrans en même temps le fait sourire. « Oui, je crois que c’est un peu ça, l’avenir ! » Quid alors du rapport à la terre ? Au Sima, les partisans de l’agriculture biologique ou de la permaculture passent, au mieux, pour de doux rêveurs. « Qu’ils se mettent à cultiver et, au bout de deux jours, ils nous demanderont comment gagner en efficacité », avance Charles Adenot « Le bon sens paysan ne va pas disparaître, nuance-t-il. L’agriculteur ira toujours jeter un œil dans ses champs. » Voilà qui est rassurant.
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