Un ordinateur posé sur les genoux est une bouillotte aussi efficace qu’un gros chat. De là toutefois à imaginer que ces équipements informatiques puissent chauffer des logements... Eh bien c’est le cas. Par un enchaînement d’idées aussi compliqué qu’une équation du quatrième degré, Paul Benoît, ingénieur et bidouilleur informatique, a inventé le premier radiateur numérique. Il a eu l’idée de remplacer les résistances propres au chauffage électrique par des processeurs d’ordinateurs qui, connectés à Internet, reçoivent des calculs à effectuer et, ce faisant, dégagent de la chaleur sans émettre le moindre bruit. Et sans coûter un centime aux particuliers.
Son invention, le Q.rad, équipe à ce jour 100 logements sociaux à Paris mais aussi l’incubateur de start-up Télécom Paristech et les locaux de Qarnot computing, le nom de l’entreprise qu’il a créée, en région parisienne. En tout, 350 radiateurs intelligents s’apprêtent à entamer leur deuxième hiver.
Une alternative aux data centers
Pour les utilisateurs, le principe est très simple : un thermostat, réglable même à distance via un smartphone, permet de choisir la température souhaitée. Plus on chauffe une pièce, plus les capacités de calcul des processeurs sont sollicitées. C’est cette faculté qui est vendue par Qarnot computing à ses clients, des entreprises ou des centres de recherche.
On peut régler à distance la température de son radiateur connecté à Internet via un smartphone. Crédit : QC
Ces drôles de radiateurs, les Q.rad, ont été conçus comme une alternative aux centres de données, où d’énormes machines turbinent pour calculer ce qui nous permet d’ouvrir simultanément quinze fenêtres Internet ou d’envoyer un tweet, ce qui, chaque fois, nécessite d’effectuer des calculs informatiques extrêmement complexes. « Tous les cinq ans, l’énergie consommée par les centres de données double. A ce jour, leur consommation représente 7% de l’énergie française », rappelle Paul Benoît. Ces centres dégagent aussi énormément de chaleur. Un exemple : les lourds calculs nécessaires à la réalisation d’un film en 3D peuvent chauffer plusieurs milliers de personnes pendant un an. « Refroidir ces centres consomme là encore beaucoup d’énergie. »
Afin d’éviter la surchauffe, l’idée est donc de « répartir les capacités de calcul à travers la ville et, ce faisant, de chauffer les appartements grâce à la chaleur dégagée par des processeurs en plein calcul ». Ceci permettrait au modèle Q.rad, d’après les estimations de Paul Benoît, d’avoir une empreinte carbone quatre fois moins importante que celle des centres de données.
Un mode de chauffage gratuit
Une solution écologique mais économique, aussi. Parce que la minute de calcul est facturée moins chère aux entreprises ou centres de recherche que dans les centres de données. Et parce que la chaleur est, elle, gratuite pour les usagers de Q.rad. « Ce que les radiateurs consomment en électricité pour faire les calculs est remboursé, chaque mois, aux personnes qui en ont chez elles. »
Et même en période de très grand froid, pas de risque de déséquilibre entre l’offre de calculs et la demande en chauffage. « On dispose d’une quantité infinie de calculs dits non prioritaires – car on ne les facture pas – attendus par des centres de recherche et des universités. En cas de besoin de chauffage, on peut leur offrir de la capacité de calcul », précise Paul Benoît. Ainsi, l’hiver dernier, l’université Pierre et Marie Curie a pu bénéficier gratuitement de calculs sur la simulation de protéines. L’été, le Q.rad réduit très fortement la chaleur produite, au point de devenir imperceptible, tout en délivrant une puissance de calcul minimale.
Un radiateur qui ne se contentera bientôt plus de chauffer
Un an après son déploiement, Qarnot computing « commence à regarder à l’international ». L’entreprise bénéficie du soutien du programme Horizon 2020 de l’Union européenne, qui l’a distinguée comme étant une Open disruptive innovation (innovation de rupture). Mais la vingtaine de salariés planche déjà sur une interface informatique améliorée, qui permettra d’ouvrir les possibilités de calcul à davantage de clients, et sur un Q.rad qui irait « au delà du simple chauffage, avec des fonctions de domotique intégrées » comme, par exemple, des capteurs permettant de mesurer la qualité de l’air intérieur.
Le but de Paul Benoît n’est « pas d’équiper tous les foyers français mais seulement ceux qui s’y prêtent bien, à savoir ceux équipés de la fibre optique et bien isolés ». D’ailleurs, le Q.rad n’est pas encore disponible à la vente pour les particuliers, au grand regret de Pascale Massot, directrice de Télécom Paristech. Car, « en plus de trouver l’idée géniale et les radiateurs beaux, [elle] en tire une vraie satisfaction en termes de bien-être. Ils ne font aucun bruit et la chaleur dégagée est douce, pas du tout en dent de scie. L’hiver dernier, qui a pourtant été bien pourri, on n’a jamais eu besoin d’allumer nos vieux chauffages à gaz ou ceux, électriques, d’appoint. On a donc fait des économies ».
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