Deux ans après le premier plan d’aide à Grèce, rares sont ceux qui se risquent encore à proposer des solutions miracles à la crise. Depuis que les Grecs ont voté majoritairement en faveur des partis opposés à l’austérité, le pessimisme est même définitivement de rigueur. Un économiste – allemand qui plus est – s’est pourtant risqué à publier la semaine dernière une proposition de remède pour Athènes.
La reconnaissance de dette devenue monnaie
L’impétueux s’appelle Thomas Mayer, et il est chef économiste à la Deutsche Bank. Sa solution, présentée dans l’hebdomadaire Die Welt - s’appelle le « Geuro », diminutif de Greek euro. Voilà son idée :1) Il s’attend à ce que les Grecs élisent à nouveau une majorité anti-austérité à l’Assemblée le 17 juin prochain, puis que la zone euro décide en retour de ne pas verser les 130 milliards d’euros d’aides prévus.
2) Dans ce cas, la Grèce serait à court d’argent et pourrait être contrainte d’adresser dans les semaines suivantes des « reconnaissances de dette » - appelées IoU pour « I owe you » (« Je te dois » en anglais ) - à ses fonctionnaires et à ses créanciers.
3) Thomas Mayer propose que ces reconnaissances de dette, qui risquent d’être émises en grande quantité, soient alors considérées comme une monnaie parallèle à l’intérieur des frontières de la Grèce. L’astuce, c’est que cette monnaie aurait un cours bien moins élevé que l’euro. Un Geuro vaudrait en fait la moitié d’un euro classique. Ainsi, la Deutsche Bank entend faire d’une pierre deux coups. Les produits grecs redeviendraient compétitifs puisqu’ils coûteraient mécaniquement et immédiatement deux fois moins chers à l’exportation. Pour autant, la Grèce n’aurait pas à sortir officiellement de la zone euro. La banque allemande prévoit même qu’elle abandonne purement et simplement le Geuro une fois sortie d’affaire.
4) Reste toutefois toujours le problème de la dette à rembourser, en euros véritables. Pour cela, l’Europe devrait continuer à sortir son chéquier, le temps pour la Grèce de relancer son économie, préconise Mayer. Il faudrait également se pencher sur le cas des banques grecques, qui deviendraient insolvables. L’économiste propose là de créer une structure de défaisance, appelée aussi bad bank, pour solder les actifs des banques helléniques et sauver les établissements. En clair, une structure créée spécialement pour prendre les actifs toxiques à sa charge et pour les revendre.
Suivre l’exemple argentin...
L’exemple visé est clairement celui de l’Argentine, qui a dévalué sa monnaie en 2001 pour sortir de la crise en 2001. Un bon exemple ? « L’idée est intéressante mais c’est un gros pari. Il faut espérer que ce stratagème évite la contagion aux autres pays en difficulté. Le risque serait moins élevé qu’en cas de sortie directe de la Grèce mais il existerait tout de même », juge l’économiste Stefano Schiavo, professeur d’économie à l’université de Trente (Italie). Contrairement à l’Argentine, la Grèce fait partie d’une zone économique. En optant pour une monnaie parallèle, elle pourrait faire grimper les inquiétudes sur les autres pays en difficulté de cette zone, à savoir l’Espagne, l’Italie, l’Irlande...« L’Argentine avait des conditions bien plus favorables en 2001, puisque l’économie mondiale vivait une sortie de crise, alors que nous sommes aujourd’hui encore en pleine crise. Par ailleurs, l’Argentine n’a pas résolu tous ses problèmes et souffre toujours d’une inflation à deux chiffres et de problèmes budgétaires », alerte également l’économiste.
...Ou l’exemple cubain
Jacques Le Cacheux, directeur du département des études à l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) est plus sceptique encore :
Il fait d’abord valoir que « les bienfaits d’une dévaluation ne sont pas automatiques ». En effet, il faut souvent attendre quelques mois ou quelques années avant que les investisseurs et entreprises étrangères ne prennent l’habitude de s’approvisionner dans un pays qui a dévalué sa monnaie. A l’inverse, les effets sur les importations sont immédiats. En clair, la Grèce va devoir payer deux fois plus pour acheter son pétrole au lendemain de sa dévaluation mais devra patienter avant d’exporter plus. A court terme, la Grèce risque de devoir financer une balance commerciale encore plus dégradée.
L’économiste craint aussi la spéculation sur cette monnaie, qui ferait baisser toujours plus la valeur du Geuro. Le seul moyen d’empêcher un tel cercle vicieux serait d’instaurer un contrôle des changes… comme le fait par exemple le gouvernement cubain.
Sa conclusion ? « A mes yeux, cette solution diffère très peu en vérité d’un retour à la drachme. La rationalité économique porte à croire que personne n’a intérêt à une telle sortie. Mais si la nouvelle Assemblée élue refuse le plan d’austérité, et si les dirigeants européens refusent eux de négocier ce plan, alors la solution politique qui sera trouvée pourrait ne pas respecter la rationalité économique. »
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