Le ministre de la Défense, Gérard Longuet, a estimé à 300 millions d’euros le coût direct pour la France de l’opération militaire en Libye soit « un tiers du budget » des opérations extérieures (opex) de l’armée françaises pour 2011. |
Le 19 mars, la France lançait ses rafales à l’assaut de la Libye. L’armée bleu-blanc-rouge a, la première, ouvert le feu sur les troupes loyalistes du dictateur Mouammar Kadhafi, avec pour motif officiel la protection des civils. Trois mois et trois jours plus tard (en ce 22 juin), où en est-on ? La guerre supposée éclair semble s’enliser et les perspectives de résolution s’éloigne dans un horizon indistinct. Le 12 juillet prochain, le gouvernement demandera au Parlement si, oui ou non, il est raisonnable de prolonger l’intervention, comme le prévoit la Constitution au bout de quatre mois d’intervention militaire. Alors, la question du prix se posera inévitablement.
Car il semble que l’opération Harmattan, du nom du vent chaud et sec du Sahara, mette effectivement à sec les comptes de l’Etat. Ainsi, selon le porte-parole adjoint du ministère de la Défense, le général Pontiès, cité par Le Parisien, ces trois mois de guerre ont entraîné un surcoût de 87 millions d’euros. Ce surcoût correspond aux sommes qui s’ajoutent, lors d’opérations militaires extérieures (opex), au coût de fonctionnement normal de l’armée en France. Et la somme grimpe vite, au rythme de plus d’un million d’euros chaque jour. Bigre.
Où part cet argent ?
Premiers postes de dépense lors de ces opex, le salaire et les indemnités spéciales des militaires et le matériel. A savoir, pour la Libye :
- 3200 militaires mobilisés
- 16 rafales
- 4 mirages
- 6 avions ravitailleurs
- 3 avions de surveillance
- 6 avions d’attaque « Super-étendard modernisés »
- Divers avions de transport pour le ravitaillement
(Source : Ministère de la défense. Le blog du Monde diplomatique Défense en ligne, lui, parle d’une soixantaine d’avions en tout, dont une vingtaine de chasseurs.)
- 1 porte-avions Charles-de-Gaulle accompagné de trois frégates, d’un ravitailleur et d’un sous-marin nucléaire (source : Canard enchaîné)
- 1 bâtiment de projection et de commandement, le Tonnerre, transportant plusieurs hélicoptères.
Ces engins méritent d’être utilisés avec parcimonie, puisque chacune de leur sortie coûte une petite fortune. Une heure de Rafale vaudrait ainsi 13 000 euros hors carburant (plus de 20 000 euros en comptant le kérosène). Plus cher que le Mirage, dont le vol coûte seulement 10 000 euros l’heure. Si vous préférez un tour d’une heure à bord du porte-avions, ça vous fera une belle facture de 45 000 euros. Quant aux missiles, ils valent également leur pesant d’or : un AASM (Armement air-sol modulaire, soit un missile largué d’un avion et capable de se guider vers sa cible terrestre) vaut 250 000 à 350 000 euros, tandis qu’un air-sol Scalp entre 500 000 et 800 000 euros. En clair, de jolies sommes larguées du ciel à chaque bombardement.
Errements budgétaires
L’enveloppe de 900 millions d’euros prévue dans le budget 2011 pour les opex (opérations militaires extérieures) devraient, pour l’instant, suffire à assumer ces 90 millions de surcoût (en ce 22 juin, les 87 millions évoqués plus haut sont déjà un peu dépassés). A noter que cette enveloppe est, depuis quelques années, en hausse constante, selon un rapport de la Commission des finances qui attribue notamment cette tendance « au renchérissement du soutien logistique de nos troupes sur des théâtres désormais plus lointains, à des dépenses de munitions croissantes dans des engagements de plus en plus violents... »
En jaune, les provisions prévues dans la loi de finances initiale pour les opérations extérieures, largement dépassées par les surcoûts réels des opex. Atteignant 867 millions d’euros en 2010, l’enveloppe totale pour les opex est prévue à 900 millions pour l’année 2011. © Projet de loi de finances / Budget de la défense 2011
Plus généralement, le budget de la défense totalise 31,2 milliards d’euros pour l’année 2011. Toutefois, cette somme est traditionnellement sous-évaluée, selon le rapport de la Commission des finances. Ainsi, la budgétisation des opex n’atteignait pas 4 % du coût réel en 2003, s’en rapprochant « à un rythme très lent pour plafonner à 54-55 % en 2007 et 2008, ce qui ne répond que très imparfaitement au principe de sincérité sur lequel repose la construction du budget de la nation », notent les auteurs du rapport.
En 2010, ce budget opex a servi à maintenir 8 700 militaires déployés dans une vingtaine d’opérations extérieures (sur 23 000 militaires, hors gendarmerie, déployés à l’étranger), selon le ministère de la Défense. En première ligne de ces interventions : l’Afghanistan, où sont engagés 4 000 militaires, et où le surcoût est estimé à 1,3 million d’euros chaque jour. Après 10 ans de guerre, la France vient d’y perdre son 62ème soldat. L’armée française intervient aussi en Côte d’Ivoire, au Liban, au Kosovo, en Somalie (pour lutter contre la piraterie dans le golf d’Aden), au Tchad (dans la région du Darfour).
A quoi aurait pu servir l’argent de la guerre ?
- Tout d’abord, notons que quand l’Etat paie 1 million d’euros par jour pour guerroyer en Libye, ceci équivaut à payer une journée de Smic à 20 400 personnes. Ou bien : à payer en un jour 78 années de Smic (1070 euros net mensuel). Plus qu’il n’en faut pour atteindre la retraite.
- A la rentrée prochaine, 16 000 postes vont être supprimés dans l’Education nationale. Economies réalisées soit 400 millions d’euros en un an. La moitié des sommes dédiées aux opex auraient ainsi pu sauver ces postes de profs et instituteurs. Mieux : chaque prof non embauché, représentant une économie de 25 000 euros par an, vaut donc deux heures de vol à bord d’un Rafale...
- La loi de finances 2011 a réduit de moitié le crédit d’impôt bénéficiant aux exploitants convertis à l’agriculture biologique, dégageant 17 millions d’euros d’économie. 17 jours de guerre en Libye ou le maintien de l’aide aux plus de 16 500 agriculteurs bio, c’est au choix.
- Depuis 2007, le président équatorien Rafael Correa demande à la communauté internationale de compenser la non-exploitation d’un gisement pétrolier situé au coeur d’une réserve naturelle à la biodiversité exceptionnelle. Ce projet « Yasuni-itt » nécessite l’apport de 2,4 milliards d’euros sur 15 ans. Une délégation équatorienne est venue négocier, en avril, avec le gouvernement français qui se dit fort enthousiaste, mais... n’a toujours pas mis la main au porte-monnaie. Si la guerre en Libye dure encore trois mois, elle entraînera un surcoût global de 174 millions d’euros. Une somme amplement suffisante pour payer une seule année de cette initiative novatrice.
- Sur le marché des compensations carbone, le prix d’un arbre dans les projets de reforestation équivaut généralement à 1 euro ou 1,50 euro. Avec notre million de surcoût quotidien, ça nous donne, en moyenne, 800 000 arbres plantés chaque jour. Allez, à ce rythme, un bon mois de guerre supplémentaire nous permettrait de planter une belle forêt de 100 millions d’arbres !
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